Vous êtes sur smartphone ?

Téléchargez l'application Le Regard Libre depuis le PlayStore ou l'AppStore et bénéficiez de notre application sur votre smartphone ou tablette.

Télécharger →
Non merci
Accueil » Un jour de 563, le vague à l’âme du Léman

Un jour de 563, le vague à l’âme du Léman4 minutes de lecture

par Arthur Billerey
0 commentaire

Avec simplicité et adresse, preuves scientifiques à l’appui, Pierre-Yves Frei et Sandra Marongiu, dans une enquête qui traverse les époques, nous expliquent les raisons et les effets du terrible tsunami qui eut lieu en 563. Et qui emporta, dans sa rage, des moulins et des hommes.

Le Léman, le beau Léman d’eau douce, calme et tiède en été, parcouru de long en large par des milliers de baigneurs, a connu en 563 un tsunami d’une ampleur et d’une allure folle: Le Tauredunum. C’est sous la plume des chroniqueurs chrétiens de l’époque, Marius, évêque d’Avanches et Grégoire de Tours, évêque du Royaume des Francs, que Le Tauredunum, le mont Taure, apparaît comme étant à l’origine d’un tsunami aux vagues torrentielles, véritable fléau qui balaya sur son passage les bâtisses, les animaux, les moulins et les hommes, comme le relate l’évêque d’Avanches:

«Post-consulat de Basilius, 22e année, 11e indiction: Cette année-ci, la grande montagne du Tauredunum dans le diocèse du Valais s’écroula si brusquement qu’elle écrasa un bourg qui était proche, des villages et en même temps tous leurs habitants. Sa chute mit aussi en mouvement tout le lac, long de 60 milles et large de 20 milles, qui, sortant de ses deux rives, détruisit des villages très anciens avec hommes et bétail. Le lac démolit même beaucoup d’églises avec ceux qui les desservaient. Enfin, il emporta dans sa violence le pont de Genève, les moulins et les hommes et, entrant dans la cité de Genève, il tua beaucoup d’hommes.»

Transformer une hypothèse en certitude

Ces chroniques incroyables ont dépassé les siècles pour arriver jusqu’à nous, évitant l’incendie, la guerre, la moisissure, l’eau et l’oubli, heurtant la curiosité de plusieurs scientifiques de tous bords, de toute époque. Il aura fallu néanmoins attendre 2010, l’intervention de Katrina Kremer et Stéphanie Girardclos, deux géologues de l’Université de Genève, pour réussir ce tour de force propre à la science, qui est de transformer une hypothèse en une certitude. Auscultant avec un échosondeur les sédiments qui dormaient au fond du lac depuis des millénaires, elles y découvrirent une couche épaisse, imposante et ancienne, trace irréfutable du Tauredunum qu’elles contrôlèrent au moyen d’un carottier, en prélevant quatre carottes de douze mètres en différents points de la couche sédimentaire, analysées ensuite.

La légende écrite du passé devint une réalité fascinante, établie et documentée. Il aura fallu attendre quinze siècles pour y parvenir. Bien que des controverses scientifiques entre savants vaudois et valaisans eurent lieu sur l’origine de la catastrophe, un jour de 563, le vague à l’âme du Léman débuta par l’éboulement du sommet de La Suche. Les roches tombées roulèrent de la plaine du Rhône au lac, à grande vitesse, emportant tout avec elles jusqu’à s’enfoncer dans le lac. Ce qui créa une série de vagues meurtrières, qui se déplacèrent à 70km/h et dont la plus haute faisait 13 mètres, au niveau de Lausanne, selon le scénario de modélisation numérique conçu par le physicien Guy Simpson.

Pierre-Yves Frei et Sandra Marongiu, auteurs du livre, en plus d’informer le lecteur sur le Tauredunum avec simplicité et adresse, proposent un retour historique sur les rives du Léman, colorées par les changements de peuples et de cultures, forgées par la formation des Alpes, creusées par l’extension lente des glaciers et pétries par la lutte de la terre et de la glace, sous l’œil débonnaire du soleil. Riche en illustrations avec des tableaux, de David Alois Schmid ou Hodler, plusieurs photographies, des graphiques soignés, un repère chronologique et une bibliographie, ces recherches sauront apaiser la soif des plus curieux. Qui apprendront aussi qu’il y a eu d’autres tsunamis sur le Léman, comme celui qui s’est produit entre -1780 et -1620 à l’époque des villages palafittiques, et des tsunamis sur d’autres lacs du monde.

Le livre apporte donc sa contribution à l’histoire universelle. La grande question étant: est-ce qu’un nouveau tsunami pourrait avoir lieu aujourd’hui, en 2020, sur le Léman? C’est avec cette question lancinante au fond de la gorge que le lecteur, assis au bord du Léman, en été, triturant nerveusement sa serviette de bain, laissera tomber ce livre, puis avec une expression médusée tournera son regard inquiet vers le lac, tandis que ses lèvres murmureront: Papa, Maman[1].


[1] Paraphrase éhontée de la fameuse citation d’Aragon: «Un livre est excellent si le lecteur, déchirant son mouchoir inutile, laisse tomber soudain l’exemplaire parcouru, puis avec une expression céleste tourne vers le ciel un regard de reconnaissance tandis que ses lèvres murmurent : Papa, Maman.» Traité du style, Aragon.

Crédit photo: © Emiliano Arano/Pexels

Ecrire à l’auteur: arthur.billerey@leregardlibre.com

Pierre-Yves Frei et Sandra Marongiu
Un tsunami sur le Léman, Tauredaunum 563
PPUR
2020
200 pages

Vous aimerez aussi

Laisser un commentaire

Contact

© 2024 – Tous droits réservés. Site internet développé par Novadev Sàrl