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Schubert, une vie à l’ombre de Beethoven6 minutes de lecture

par Jean-David Ponci
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Toute sa vie, Schubert a vécu dans le culte de Beethoven. Cinq jours avant sa mort, il prie son ami Karl Holz, qui vient le visiter avec son orchestre, de lui jouer le quatuor n°14. Cette admiration de Schubert pour Beethoven peut surprendre, au premier abord, tant les deux personnages semblent différents.

Tandis que la musique de Beethoven est tourmentée, celle de Schubert est spontanée, facile, joyeuse, limpide… Certains passages ressemblent à s’y méprendre à du Mozart. Tandis que Beethoven a un caractère ombrageux, Schubert, dès son plus jeune âge, a le don d’attirer à lui des gens plus âgés et plus «importants» que lui. Il anime régulièrement des réunions, dont il est le boute-en-train, généralement dans l’appartement de l’un d’entre eux: les fameuses Schubertiades.

Tandis que Beethoven jouit d’une situation financière confortable, Schubert « mange » trois fois son piano, c’est-à-dire qu’il dépense l’argent prévu pour en acheter un. Tandis que Beethoven est sur le devant de la scène, Schubert demeure un compositeur de seconde file. Sur son lit de mort, Beethoven s’écrie à la vue de certaines de ses œuvres : « Il y a vraiment chez ce Schubert l’étincelle divine du génie ! » Pourtant, lorsqu’il le rencontre cinq ans plus tôt, le courant ne passe pas entre les deux hommes. Il en va de même avec Goethe, auquel Schubert avait envoyé trois lieder.

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La disparition de Beethoven affecte profondément Schubert. Il accepte de donner un concert public, le seul qu’il ait jamais donné, pour le premier anniversaire de sa mort. C’est un succès, aussi bien populaire que financier, mais un succès vite oublié à cause de l’arrivée à Vienne de Paganini… et, de toute manière, il meurt huit mois plus tard. Décidément, la gloire l’aura boudé jusqu’au bout.  

Il faut dire que Schubert ne se préoccupait guère de sa gloire: il adorait composer mais montrait moins d’intérêt et de talent pour faire publier ou jouer ses œuvres. C’est ainsi qu’à sa mort, il a cent opus à son actif, lui qui a écrit environ mille cinq cents œuvres, réparties en 998 opus! La gloire viendra après, notamment avec la découverte de ses huitième et neuvième symphonies. 

Hormis son génie, l’amitié fut son unique richesse. Il logea d’ailleurs souvent chez des amis. Comment la Vienne de l’époque a-t-elle pu être aveugle à ce point? Il fallait vraiment être obtus pour ne pas remarquer une musique si brillante, accessible, mélodieuse et suggestive. C’est que Schubert est comme une étoile filante, que seul un petit cercle d’admirateurs a eu la chance d’apprécier. Etoile filante, il l’est d’abord par la brièveté de sa vie: trente et un ans. C’est un record parmi les grands compositeurs, battu uniquement par Pergolèse, vingt-six ans. 

Etoile filante, il l’est aussi par son goût pour la liberté et son besoin d’indépendance. Il renoncera rapidement à son poste de maître d’école pour se consacrer uniquement à la composition, au risque de se retrouver sans-le-sou. Dans sa Messe allemande, il refuse d’adapter le texte à la liturgie catholique et renonce ainsi à une rémunération de la part de l’archidiocèse de Vienne. Cette indépendance se reconnaît encore dans le désir de poursuivre ses rêves malgré tout: il s’entêtera à écrire vingt opéras, qui tous seront des échecs.

Etoile filante, il l’est par sa maturité musicale dès son adolescence. Qu’on s’en convainque en écoutant l’allegretto en ut mineur, composé alors que Schubert n’avait que dix-sept ans. Joseph von Spaun, élève comme Schubert de la chapelle impériale et qui restera son grand ami, fut sans doute le premier à entendre sa musique, car Schubert composait en cachette et accepta un jour de lui révéler ce secret. Joseph témoigne:

«C’était comme si un ange m’avait caressé de son aile… A mesure qu’il jouait, je montais au ciel… Le pauvre mortel que je suis n’avait pas accès à de telles hauteurs… C’était un génie qui était en train de naître devant moi.»

Etoile filante, il l’est encore par la spontanéité de son style. Il ne s’embarrasse guère de canons musicaux. Beaucoup de ses compositions manifestent un grand désir d’expérimentation et de nouveauté. Cela lui permet d’être en avance sur son temps – signe indéniable du génie – dans ses dernières œuvres. Sa neuvième symphonie par exemple annonce déjà la musique de Bruckner et de Mahler. Cette spontanéité s’explique un peu aussi par manque de formation: Schubert nourrissait le projet de prendre des leçons de contrepoint et d’harmonie et s’inscrivit quatorze jours avant sa mort chez Sechter pour étudier la fugue.

Il manque pourtant encore quelque chose pour saisir le personnage: il n’est pas simplement un compositeur au style facile qui compenserait avantageusement la musique moins digeste de Beethoven. La vie de Schubert est, elle aussi, profondément tragique. D’abord par l’amour déçu. La précarité l’empêcha de se marier avec Therese Grob, car, selon les lois de l’époque, il devait démontrer qu’il avait les moyens de soutenir une famille.

Il dut renoncer définitivement à l’épouser après qu’on lui eut refusé le poste de maître de chapelle à Ljubljana, à dix-neuf ans. Il exprime déjà ce sentiment dans le lied Marguerite au rouet, composé à dix-sept ans, un mois après avoir fait la connaissance de Therese : coïncidence ou prémonition ? Au fur et à mesure que Marguerite file, elle passe du désir d’embrasser Faust à la conviction qu’elle ne le reverra plus jamais… 

Puis, il y a l’omniprésence de la mort. Schubet étant le treizième de seize enfants, onze de ses frères et sœurs n’atteindront jamais l’âge adulte. A partir de ses vingt-cinq ans, il doit se faire soigner de la syphilis, un mal qu’il portait probablement depuis longtemps au vu de la lente évolution de la maladie. Ce mal l’emportera six ans plus tard, à moins que cela ne soit un empoisonnement au mercure, conséquence du traitement, ou encore une fièvre typhoïde. 

Plusieurs de ses chefs-d’œuvre font référence à la mort: le lied La jeune fille et la mort, ainsi que le quatuor du même nom, mais surtout Le roi des aulnes. Ces lieder sont souvent doublement géniaux: le poème est magnifique, et la musique l’illustre et en donne une interprétation. Schubert a porté cet art à sa perfection, mais, pour l’apprécier pleinement, il faut écouter en suivant le texte.

Dans Marguerite au rouet, l’accompagnement de la main droite imite le mouvement répétitif de la roue. Dans Le roi des aulnes, un père voyage à cheval avec son fils. L’enfant voit que le roi des aulnes veut s’emparer de lui. Le père le rassure, lui expliquant que ce n’est que le brouillard ou le vent dans les feuilles. Pressentant toutefois le danger, il presse son cheval, mais quand il arrive à la maison, l’enfant est déjà mort. Les triolets rapides simulent le galop du cheval et expriment l’urgence. Par ailleurs, sa quatrième symphonie porte le nom de «tragique».

A l’enterrement de Beethoven, Schubert est là, remplissant le modeste office de porte-flambeau. C’est pourtant lui qui aurait dû ouvrir le cortège, lui qui est, avec Beethoven, le fondateur du romantisme et, musicalement, son héritier le plus direct.

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Puisque les vivants n’ont pas su lui rendre hommage, est-ce osé de prétendre que ce sont les morts qui le firent? Le 19 novembre 1828, sur son lit de mort, il demande à son frère Ferdinand de reposer aux côtés de Beethoven. Ce fut là la seule ambition de Schubert que le destin acceptât jamais de satisfaire. Il fut enterré au cimetière de Währing à côté de Beethoven. En 1872, leurs restes mortels furent transférés au cimetière central de Vienne. Leurs tombes sont proches de celles de Brahms, de Bruckner et de Johann Strauss fils.

Ecrire à l’auteur: jean-david.ponci@leregardlibre.com

Image: Gustave Klimt, Schubert au piano (1899)

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