Les mélodies du jeudi – Alexandre Wälti
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Depuis quelques semaines, je l’écoute en boucle. Les Suisses romands se demandent sans doute pourquoi. Et bien, c’est simple : c’est beau. Musicalement, les dix-sept morceaux de Song Book sont d’une grande richesse instrumentale et les textes, d’une inventivité folle.
L’auditeur passe d’une ambiance clairement country de Weiss Nid, Was Es Isch aux cordes et chœurs enivrants de Für Immer et Du. Il suit aussi le destin mi-figue mi-raisin d’une serveuse dans Wägg vom Bäre et s’émeut du dialogue amoureux de Still. Citons encore la tendresse merveilleuse de Alls et la mélancolie enthousiaste de Drriisg Jahr.
Il y a surtout le suisse allemand qui est particulièrement bien chanté dans ce projet. Une langue principalement orale qui me rappelle sans cesse les éclats lumineux et fougueux de l’enfance. Un sentiment que le passionnant Boubacar Boris Diop éprouve aussi pour le « wolof », langue dans laquelle il écrit aussi, comme il l’a expliqué mercredi dernier au Salon du Livre lors d’une table ronde. Il a dit que l’énergie de l’écriture en français n’était pas la même que celle de sa langue d’origine. Je ressens exactement cette différence d’énergie avec le français quand je parle la langue de Mani Matter.
Une musique pétillante de littérature
Certes, je ne parle pas wolof, mais l’effet que cet album a sur moi est semblable à ce que l’écrivain sénégalais a décrit lors de son passage à Genève. Je parle aussi de littérature parce que tous les textes de Song Book sont signés Martin Suter, l’auteur de l’excellent roman Small World. Cette collaboration entre le musicien et l’écrivain a débuté sur l’album Eldorado de Stephan Eicher et s’est heureusement prolongée depuis.
Les deux artistes ont enfin signé un album en commun ; pas seulement, puisqu’ils produisent aussi une musique au croisement de deux arts. Martin Suter se met effectivement en scène avec Stephan Eicher. De courts textes de fiction précèdent les paroles de chaque morceau dans le booklet. Redonnant toute sa valeur à ces quelques pages glacées où apparaissent les crédits d’un album et qu’on glisse avec tant de plaisir hors de la pochette. Ici, livre et CD ne font qu’un. L’auteur zurichois y explique notamment, avec ironie et humour, la genèse de chaque composition. Ce qui permet un contraste souvent saisissant entre l’idée initiale et le résultat final.
Un morceau si beau et l’heureuse rencontre
La perle Ds alte Paar, évoquant La Chanson des Vieux Amants de Brel par son titre, est, à mon avis, le sommet émotionnel de l’album. Ce morceau combine à la perfection les talents de conteur de Martin Suter – on visualise si bien ce vieux couple – tandis que l’intelligence des arrangements musicaux pointilleux embaument la voix fragile de Stephan Eicher.
Une rencontre artistique dont les moteurs sont l’amour commun de l’oralité du suisse allemand et l’envie d’écrire des textes de l’envergure des chants traditionnels ; s’ils étaient chantées en cœur à l’école.
Ecrire à l’auteur : alexandre.waelti@leregardlibre.com