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Témoignage

Khaled Drareni, journaliste algérien condamné: son frère témoigne4 minutes de lecture

par Antoine Menusier
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«Le gouvernement veut faire peur aux militants du hirak, mais cela va produire l’effet contraire.» De New York où il est établi, Chekib Drareni, le frère cadet du reporter et militant du soulèvement pacifique en Algérie, explique les actions qu’il mène en faveur de la libération de ce dernier et nous en dit plus sur son parcours depuis l’enfance.

Le journaliste et militant Khaled Drareni est devenu au fil des mois la figure emblématique du hirak algérien, ce soulèvement populaire et pacifique déclenché le 22 février 2019 en opposition à un cinquième mandat de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika. Condamné le 10 août à trois ans de prison ferme pour «atteinte à l’unité nationale», plus lourde peine prononcée depuis le début du mouvement, il en est désormais une figure héroïque. Le journaliste était notamment poursuivi pour «incitation à un attroupement non armé.» Nous avons joint par téléphone son frère, Chekib Drareni, trente-six ans, établi depuis quelque temps à New York. Il y dirige une galerie d’art après avoir été chef de cabine dans une compagnie aérienne opérant au Moyen-Orient. Des Etats-Unis, il s’active pour obtenir la libération de son frère aîné. Il livre ici son témoignage.

«Mon frère a fêté ses quarante ans en prison, le 10 mai. Il est incarcéré à la prison de Kolea, à une trentaine de kilomètres d’Alger, en direction de Tipaza. Khaled a été emprisonné le 27 mars, à la prison d’El Harrach, un quartier d’Alger, mais un ou deux jours plus tard, il a été transféré à celle de Kolea, pour l’éloigner de la capitale, fer de lance de la contestation contre le régime.

Khaled est innocent. Nous avons fait appel du jugement. Nous, ses nombreux soutiens, réclamons sa libération. J’ai lancé une pétition à cet effet sur le site change.org. Certains, sur les réseaux sociaux, me disent que ma place est en Algérie, auprès du collectif agissant en faveur de mon frère. Mais je pense être tout aussi utile, sinon plus, là où je me trouve, aux Etats-Unis. Le 15 août, j’ai organisé un sit-in devant le consulat d’Algérie à New York. Certes, nous n’étions qu’une douzaine, mais c’est un début et le fait que la famille de Khaled, à travers moi, ait été présente à cette occasion est quelque chose d’important. Nous avons l’intention d’organiser prochainement un sit-in devant l’ambassade d’Algérie à Washington. Ce qui compte, c’est de donner une dimension internationale à cette affaire synonyme d’injustice. Il y a eu un article dans le New York Times, deux autres dans des journaux de Houston et de Las Vegas. Nous avons le soutien de plusieurs pays, je ne vous dirai pas lesquels, mais le 15 août, le Premier ministre canadien Justin Trudeau, alerté par les soutiens de mon frère au Canada, a transmis son dossier au ministère des affaires étrangères.

Ma famille est d’Alger. Mes parents et nous, leurs enfants, sommes passionnés par la politique. Mon père est un ancien combattant de la guerre d’indépendance et mon oncle, Mohamed Drareni, y est mort martyr à la fin des années 50. Dès l’enfance, Khaled a eu le journalisme pour centre d’intérêt. Il rêvait de présenter les infos à la télé. Si la politique le passionnait, il ne voulait pas pour autant devenir politicien. Il a fait un an de droit, puis quatre ans en sciences-po à la fac d’Alger.

Il a travaillé pour la chaîne Echourouk TV, où il présentait le journal de 19 heures. Il est le fondateur en 2017 de Casbah Tribune, un média à la fois francophone et arabophone. Au moment de son arrestation, et alors qu’il couvrait, depuis le début, le hirak, il était membre de Reporters sans frontières et correspondant en Algérie de la chaîne française TV5Monde. C’est au cours d’un entretien mené par mon frère qu’Emmanuel Macron, en 2017, alors candidat à la présidence de la République, a dit que la colonisation de l’Algérie était un crime contre l’humanité. Khaled milite pour la liberté d’expression et l’avènement de l’Etat de droit en Algérie.

L’affaire de la condamnation injuste de mon frère témoigne de la nervosité du régime. Ce jugement – trois ans de prison – est censé envoyer un message à la jeunesse algérienne, à toute une nouvelle génération qui aspire à un profond changement. En condamnant lourdement mon frère, le gouvernement veut faire peur aux militants du hirak, mais cela va produire l’effet contraire, j’en suis sûr.»

Interrompu par la pandémie de Covid-19, le hirak algérien est-il aujourd’hui un mouvement essoufflé? S’il a obtenu le retrait de la candidature de Bouteflika à sa propre succession, il n’a pas réussi à faire tomber le «pouvoir» – un objectif peut-être illusoire, tant ce mot est protéiforme et peut vouloir dire une chose et une autre, selon la catégorie d’opposants au régime. De même, le mouvement semble traversé de sérieuses contradictions, notamment sur la question des mœurs. Alors que les Biélorusses vont peut-être obtenir en quelques jours de grandes avancées démocratiques, les Algériens paraissent un brin piétiner, même si une réforme constitutionnelle – qui ne peut être qu’encourageante – est en route. Il n’empêche, le pouvoir, comme on dit en Algérie, n’est pas rassuré et multiplie les jugements pénaux contre des militants du hirak. Dans le but, en effet, de briser le mouvement. Parviendra-t-il à ses fins? Les soutiens du prisonnier Khaled Drareni veulent croire que non. Son frère, Chekib, n’exclut pas d’entreprendre des démarches pour faire reconnaître le caractère «injuste et contraire aux droits de l’homme» de sa condamnation.


Antoine Menusier est journaliste. Rédacteur en chef du Bondy Blog de 2009 à 2011 et ancien grand reporter au Temps et à L’Hebdo, il est l’auteur du Livre des indésirés. Une histoire des Arabes en France (Editions du Cerf, 2019). Aujourd’hui, il écrit pour le média suisse Watson et contribue aux magazines français Marianne et L’Express.

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