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Pierre Bessard: «Les effets du confinement montrent précisément d’où vient notre prospérité»9 minutes de lecture

par Jonas Follonier
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Le Regard Libre N° 63Jonas Follonier

Dossier «Covid-19 et mondialisation»

Selon Pierre Bessard, pas de doute: la mondialisation capitaliste, créatrice de richesse, permet de réduire les effets négatifs des épidémies. L’ancien directeur de l’Institut libéral se livre à un entretien consacré à la mondialisation face au coronavirus et à des questions plus générales sur le libéralisme en Suisse et dans le monde.

Le Regard Libre: Tout un pan de la population, suivi par une grande partie de la gauche intellectuelle, a vu dans la crise du coronavirus le signe que nos sociétés ont été trop loin avec la mondialisation et appellent de manière générale à plus de mesure au sein de la société. Qu’en dit le défenseur du capitalisme que vous êtes?

Pierre Bessard: Cela permet de mettre en avant les avantages de la mondialisation. Grâce à la libéralisation d’économies autrefois réprimées, la proportion de personnes vivant dans la pauvreté la plus absolue a diminué de 37% à moins de 10% sur les trente dernières années dans le monde, alors que la population a augmenté de 2,2 milliards de personnes en parallèle. Cela montre une nouvelle fois la prouesse extraordinaire de l’économie de marché. Ceci dit, la mondialisation n’a pas seulement diminué la pauvreté, mais relevé plus généralement les niveaux de vie, en augmentant le pouvoir d’achat des ménages des pays avancés.

Vous avez publié sur le site de l’Institut libéral (www.libinst.ch) diverses contributions de chercheurs et professeurs montrant les bienfaits que la mondialisation en ce qui concerne la recherche scientifique, l’accroissement du bien-être et même la santé des individus. Si vous deviez résumer ces analyses à contre-courant, quels seraient les faits que vous trouvez les plus importants?

La résilience des populations grâce à la recherche médicale et pharmaceutique, qui est fortement internationale, de même que la prospérité supérieure qui découle de la mondialisation, a atténué les effets de la maladie. En raison de la richesse accumulée par les échanges mondiaux, nous pouvons nous permettre d’investir beaucoup plus dans les systèmes et les soins de santé. La nutrition, un facteur de bonne santé, est aussi positivement corrélée au niveau de vie: tous ces facteurs diminuent l’impact, certes dramatique, d’une épidémie.

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Ayant dit cela, il faut tout de même reconnaître que la tendance au court-terme, inhérente à l’esprit d’innovation et à la volonté de l’homme de satisfaire ses besoins, peuvent mener à un manque d’anticipation des hommes et des nations. Cette crise l’a montré, non?

L’épidémie actuelle s’apparente à une catastrophe naturelle: il s’agit d’un phénomène difficilement prévisible dans le temps et l’espace. Cependant, la probabilité d’une occurrence était connue. On ne peut donc pas parler ici d’un manque d’anticipation, mais d’une défaillance des Etats au niveau stratégique. L’analyste des risques Nassim Taleb, le philanthrope Bill Gates, de même que de nombreux spécialistes avaient mis en garde contre le manque de préparation et les coûts beaucoup plus élevés qui en résulteraient. En Suisse, une nouvelle loi sur les épidémies est entrée en vigueur en 2016. Cependant, les plans sur le papier n’ont pas été suivis de faits. L’esprit d’innovation fait partie de la solution. Le problème est plutôt le court-termisme et la dispersion de la politique.

Vous plaidez dans un article pour un système de santé plus aligné sur le marché. Expliquez-nous en quoi l’exemple de Singapour, notamment, vous intéresse.

Nassim Taleb avait conseillé le gouvernement de Singapour dans la réponse stratégique à donner à une épidémie et la mise en place d’un système d’alerte, d’endiguement et d’atténuation. Grâce notamment à ce système, la cité-Etat, en dépit de son exposition géographique, a été peu touchée dans le cas qui nous occupe.

Le système de santé de Singapour m’intéresse toutefois pour une autre raison: ses concepteurs l’ont à la base pensé comme antithèse du système socialiste britannique. Singapour a mis en place un système qui repose avant tout sur la responsabilité personnelle, avec des comptes individuels d’épargne-santé pour les dépenses courantes, supplémentés par une assurance maladie pour les grands risques, c’est-à-dire les maladies graves ou chroniques. Grâce à ce système, Singapour dépense 4% de son PIB dans la santé, contre 12% en Suisse, par exemple, où le système de tiers payant, qui fonctionne comme un buffet à volonté, incite à une suroffre et à une surdemande de prestations inutiles.

Si la chrétienté était facteur d’unité dans la société du Moyen Age, la mondialisation a clairement engendré des gagnants et des perdants, en tout cas sur le plan de leurs impressions. N’y a-t-il pas quelque chose d’absolument scandaleux, par exemple dans la politique des dernières décennies consistant à faire venir des immigrés pour faire pression sur les salaires?

La mondialisation économique ne connaît qu’une catégorie de perdants: ceux que l’économie de marché exclue. Les Coréens du Nord, par exemple, qui dépendent de l’aide humanitaire pour leur survie, sont perdants. La mondialisation bénéficie précisément le plus aux ménages les plus modestes: songez aux coûts dérisoires de l’ameublement, de l’habillement, d’un ordinateur ou d’un téléphone portable aujourd’hui. Ce sont des gains qualitatifs exceptionnels dans l’histoire de l’humanité, sans parler de l’espérance de vie par rapport au Moyen Age. Quant à l’assertion que la venue d’immigrés fait diminuer les salaires, elle n’a pas de fondement factuel. Les salaires les plus modestes sont ceux qui ont progressé le plus rapidement ces vingt dernières années.

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Donald Trump me semble être le produit non seulement du peuple américain, mais de toute cette gamme d’individus occidentaux qui veulent bien du libéralisme à l’intérieur des nations, mais pas entre les nations. Peu à peu, la géopolitique s’en fait l’écho, la puissance revenant sur le devant de la scène contre l’idée du droit international et du libre commerce. Qu’en pensez-vous?

Il s’agit d’un instinct collectiviste qui est problématique à bien des égards. Le patriotisme local est certes une bonne chose: il incite à s’intéresser au bien-être des populations, à la compétitivité des politiques, à favoriser l’entrepreneuriat et la création de richesse. Cependant, le nationalisme politique reflète une intuition grégaire, où l’individu essaie de s’agrandir à travers le collectif. Pour les politiciens qui visent à étendre leur pouvoir sans trop d’efforts, il est facile de stigmatiser «les étrangers», sans risquer de heurter un électorat, tout en donnant l’impression de prendre au sérieux les soucis de la population. Le problème de M. Trump est qu’il ne comprend pas la logique du libre-échange international: cela fait des décennies qu’il se plaint des déficits commerciaux des Etats-Unis, révélant ainsi avant tout son illettrisme économique. 

Dans la NZZ du 25 avril dernier, le philosophe Martin Rhonheimer a justement soutenu que, avec cette crise, l’Etat a davantage montré ses faiblesses que sa capacité à régler les problèmes. Etes-vous de cet avis?

Tout d’abord, je constate que vous avez de bonnes lectures. Le réflexe étatiste est en effet de loin le plus grand danger de cette épidémie, car il amorce une diminution des niveaux et de la qualité de vie. Or les effets du confinement montrent précisément d’où vient notre prospérité: du travail productif, des échanges, de l’épargne, et non de la planche à billets inflationniste des banques centrales ou des dépenses de sauvetage de l’Etat, qui est par essence, pour son financement, un parasite de l’économie de marché. Comme je l’ai déjà évoqué, l’ampleur de la crise actuelle est à imputer à une défaillance de l’Etat, à l’impréparation en particulier des administrations publiques de la santé et de la protection de la population, qui emploient pourtant des centaines de fonctionnaires: que font-ils de leurs journées?

Beaucoup de citoyens suisses, bien que critiques à son égard, attendent de l’Etat qu’il prenne en main de nombreux domaines d’action. Le peuple suisse est-il si libéral qu’on le dit? L’a-t-il jamais été?

Le libéralisme est avant tout une attitude et une éthique, qui se rattachent à la liberté et à la responsabilité individuelles. Dans l’expérience suisse, il est indissociable du protestantisme et des Lumières, qui ont mis en valeur la capacité individuelle de raisonner, les sciences et les professions, la dignité de la bourgeoisie, l’autonomie privée et le scepticisme envers l’autorité.

Les Suisses ne sont bien sûr pas tous libéraux: le libéralisme a toujours été en concurrence avec d’autres idées et dans une société pluraliste, il ne peut en aller autrement. La grande chance de la Suisse fut que l’élite libérale et bourgeoise du XIXe siècle a consciemment insufflé, avec beaucoup de prosélytisme, ses valeurs à la population, à travers la presse, les arts et la littérature, les sociétés savantes, les écoles. Si nous sommes aujourd’hui objectivement dans une situation enviable en comparaison internationale, nous le devons aux caractéristiques libérales de notre société. 

Comment expliquer le suivisme gouvernemental de la plupart des médias romands?

Le climat d’opinion contemporain en Suisse romande est une tragédie, car notre région a pourtant une longue tradition intellectuelle et médiatique libérale. Il y a moins de cent ans, des quotidiens comme la Gazette de Lausanne et le Journal de Genève s’étaient opposés au projet «étatiste» et «centraliste» de l’AVS, par exemple, jugé incompatible avec l’éthique de la responsabilité individuelle et l’économie de marché. Aujourd’hui, les médias romands sont aux avant-postes lorsqu’il s’agit de créer un congé paternité ou quelque autre intervention.

Pourquoi selon vous?

Il y a trois raisons à ce phénomène: la première est la quasi-monopolisation du journalisme par des sympathisants du socialisme, de l’écologisme ou du moins de la social-démocratie; la deuxième est la taille compacte du marché médiatique romand, qui n’a pas pu faire face à la montée en puissance des socialistes dans les journaux libéraux, détruits de l’intérieur; la troisième est l’influence intellectuelle encore très empreinte de marxisme de la France. 

On peut être socialiste et ne pas être dans le suivisme gouvernemental. Le danger me semble se situer davantage dans le prêt-à-penser. Le libéralisme, au sens large, a-t-il une part de responsabilité dans l’apparition du politiquement correct, prisé par les progressistes autoproclamés, qui paradoxalement ne sont friands de liberté d’expression que pour eux et pas pour les autres?

Le politiquement correct n’est pas nécessairement une mauvaise chose, s’il civilise la conversation et n’est pas accompagné de censure légale ou de violence pour empêcher d’autres opinions de s’exprimer. A la liberté d’expression correspond une responsabilité d’expression, et les propos racistes, sexistes, xénophobes ou homophobes, les injures gratuites ou autres n’amènent aucune valeur ajoutée dans le débat. Personne n’est tenu d’offrir des plateformes à ce type d’expression. Bien sûr, il serait tout aussi faux de les interdire pour autant qu’il ne s’agit pas d’incitation publique à la haine ou à la violence ou de diffamation, car les personnes qui les profèrent se discréditent elles-mêmes. Je pense que le libéralisme s’enlaidirait s’il défendait une liberté sans responsabilité d’expression: les libéraux sont en tout premier lieu des humanistes, qui reconnaissent à chaque individu sa liberté et sa dignité. 

Etre libéral revient-il aujourd’hui à être réactionnaire, c’est-à-dire nostalgique d’une époque davantage pluraliste et moins obsédée par l’écriture inclusive, le véganisme et consort? Les libéraux ne devraient-ils pas être plus offensifs contre les bien-pensants actuels, de gauche, comme ils ont pu l’être au XIXe siècle contre les bien-pensants conservateurs, de droite?

De nouveau, s’il s’agit de choix individuels qui ne sont pas imposés à d’autres par la force de la loi, le libéralisme n’a pas à s’opposer à des préférences alimentaires ou à des phénomènes de mode qui sont peut-être passagers. Ce sont précisément des expressions de pluralisme. Le conservatisme social siérait mal aux libéraux. Bien sûr, les compromis des «libéraux» de parti avec les idées adverses sont particulièrement gênants, et rien n’empêche à ceux qui se rattachent plus franchement à la liberté et à la responsabilité individuelles de s’avancer de façon plus offensive dans le débat.

Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com

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