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Ukraine: qui veut se battre pour la démocratie?7 minutes de lecture

par Clément Guntern
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tank russe

Article inédit – Clément Guntern

«Nous ne permettrons jamais que nos territoires historiques et nos proches qui y vivent soient utilisés contre la Russie.» Tels étaient les propos de Vladimir Poutine dans un article publié en juillet 2021 en son nom sur le site officiel du Kremlin. A ces yeux, l’Ukraine est un territoire russe. Ce n’est pourtant pas ce que pense une majorité d’Ukrainiens. Dans le cas où le président russe mettrait ses menaces à exécution, qui viendrait défendre l’Ukraine?

L’année 2022 s’est ouverte de manière éclatante sur un avant-goût de ce à quoi pourraient bien ressembler les prochaines décennies. Les logiques de puissances reprennent le dessus, la probabilité de guerres entre Etats augmente, des impérialismes nouveaux s’affirment. Sur les frontières de l’Ukraine ou les côtes du détroit de Taïwan, d’anciens vaincus de l’histoire cherchent sinon une revanche, du moins une «place au soleil» par une attitude plus agressive et revendicative. La tentation d’agir en ce moment précis est d’autant plus grande pour la Russie et la Chine que les Etats-Unis semblent plongés dans une instabilité durable et que les Européens demeurent incapables de parler et d’agir comme un seul homme. Pour reconquérir une place qui leur serait due face à la domination occidentale, il leur faudra bien briser quelques règles et franchir le Rubicon comme s’apprête peut-être à le faire la Russie.

Aux ambitions se joignent les moyens. Depuis 2015, selon le l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, les dépenses militaires globales sont en augmentation et atteignaient en 2020 un niveau comparable à celui de 1988; reflet des tensions qui se nouent et s’accroissent entre puissances antagonistes. Une course à l’armement qui reprend dans le monde entier, conjugué cette fois-ci à des ambitions plus ou moins avouées de conquête d’une zone d’influence. La Russie et la Chine notamment s’enferment dans un discours de reconquête de terres et d’une puissance perdues. A Pékin ou à Moscou, la légitimité des autocrates se base en partie sur cette revendication. Or, plus le statu quo demeure, et plus leur légitimité décroît, leur imposant une action décisive.

Les avant-postes des luttes de demain

La plupart des états-majors militaires à travers le monde ont acté le changement de paradigme entre les deux décennies tournées vers la lutte contre le terrorisme et le retour des conflits de haute intensité. Il ne s’agit plus seulement de haute intensité, un euphémisme pour ne pas parler de guerres inter-étatiques, mais d’un affrontement qui s’étend tout le long du spectre de la conflictualité: cyber-agressions, forces spéciales, guerre informationnelle, etc. Les moyens s’accordent aux ambitions néo-impérialistes.

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Les avant-postes des luttes de demain se situent probablement en Ukraine et à Taïwan. Ces Etats font tous deux partie d’un cercle de souveraineté tracé par l’histoire et la lecture qu’en font actuellement les idéologues de Pékin et de Moscou. Les deux peuples ont affiché de plus en plus clairement avec les années leur attachement aux valeurs démocratiques et au camp occidental. Ils se trouvent dans un entre-deux très peu confortable pour eux, ballottés entre le vague camp des démocraties et les revendications de leurs puissants voisins.

A Moscou comme à Pékin, on montre son agacement. Dans le cas de Pékin, M. Xi a clairement donné un objectif temporel pour la «réintégration» de Taïwan à la Chine. A Moscou, M. Poutine aussi exprime sa frustration en faisant monter la menace et les enchères. Les deux chefs d’Etat paraissent déterminés à régler ces questions, plaçant Taïwan et l’Ukraine à l’avant-garde d’une ère nouvelle. Si un conflit de grande ampleur devait éclater dans les décennies prochaines, ce serait probablement à ces endroits.

Le dilemme de l’Occident

Qu’on le veuille ou non, les Occidentaux sont parties prenantes des questions ukrainienne et taïwanaise. Ils se présentent historiquement comme les défenseurs du droit et des grands principes qui structurent le monde actuel, notamment le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et l’intangibilité des frontières – bien qu’ils s’accordent quelques exceptions comme au Kosovo. Ce sont précisément ces deux principes qui sont remis en question en Ukraine et à Taïwan. La position des Occidentaux est importante car eux aussi font partie de cette équation et se trouvent de l’autre côté de l’entre-deux. Les Américains disposent d’une loi exigeant du gouvernement de fournir à Taïwan de quoi garantir sa propre sécurité. En Ukraine, une partie de la population réclame le soutien de l’Occident et la double intégration à l’Union européenne et l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN).

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Au moment où la Russie menace très concrètement d’envahir l’Ukraine, la question de la réponse occidentale au défi lancé par le président russe devient un dilemme de fond. Quelle doit être la réponse des Etats-Unis et des Européens en cas d’invasion? Formellement, la question est déjà tranchée: l’Ukraine, tout comme Taïwan, ne fait pas partie de l’OTAN ni ne dispose d’une garantie de sécurité américaine, contrairement à la Corée du sud ou au Japon. Il n’y a donc aucun impératif légal à défendre activement Kiev ou Taipei. Pourtant, la carte blanche qui serait donnée à MM. Poutine et Xi renverrait les Occidentaux à d’autres interrogations autrement plus graves: quelle valeur ont pour nous l’intangibilité de frontières et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes? S’agit-il seulement de certaines de ces normes internationales que l’on revendique? Quels droits possèdent les petits Etats face aux grandes puissances? Et est-ce que les grandes puissances possèdent un droit sur les destinées des petits Etats? Ne pas répondre à ce défi, c’est ouvrir une boîte de Pandore et faire sauter une digue morale et politique qui restreint la violence dans la communauté internationale.

L’impossible point d’équilibre

Une «reconquête» de Poutine ou de Xi signifierait que, pour des motifs historiques, un Etat plus puissant qu’un autre aurait implicitement le droit de s’emparer de nouveaux territoires. A ce titre, l’Allemagne d’Olaf Scholtz est la légitime propriétaire de l’enclave de Kaliningrad, ancienne Königsberg et berceau de l’Etat prussien. Mais est-ce que la défense de ces principes mérite un embrasement généralisé? Et au contraire, en cas de non-intervention, est-ce que Moscou ou Pékin voudrait s’arrêter là? C’est l’insoluble équation qui se pose aux capitales occidentales. Un point d’équilibre reste à trouver, si tant est qu’il y en ait un, entre le risque d’un conflit à plus large échelle dans un contexte de réarmement et la défense de principes qui ne peuvent être bafoués.

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Si les ambitions et les discours impérialistes prennent corps ces prochaines années, mois ou semaines, ce seuil de stabilité sur lequel la diplomatie a encore un rôle à jouer risque bien d’être impossible à atteindre. Il faudra, pour les Occidentaux, passer aux choix douloureux: accepter que la loi du plus fort devienne la règle, certes en imposant des sanctions dont on sait très bien quelles n’empêcheront jamais un autocrate déterminé d’agir, ou payer le prix de la défense de ses principes. Pour ne pas avoir besoin de se battre, il faut se tenir sincèrement prêt à le faire.

Ecrire à l’auteur: clement.guntern@leregardlibre.com

Crédit photo: © Oti_foti de Pixabay

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