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Xénophobes, les Suisses? Non, mais réalistes en matière d’immigration9 minutes de lecture

par Marco Polli
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ugo palheta 12h45 RTS

Article inédit – Marco Polli

Sur le plateau de la RTS, le 13 janvier dernier, le sociologue français Ugo Palheta suggérait que les initiatives «xénophobes» acceptées en Suisse participaient au retour du fascisme en Europe. Plus largement et au-delà de la question de l’islam et de l’islamisme, il n’est pas rare que les Helvètes soient accusés d’hostilité – en tout cas politique – envers l’immigration. C’est là ne rien comprendre à la volonté de ce peuple, qui a doté son pays d’une véritable politique d’accueil des étrangers. Comment? A la fois en refusant six initiatives xénophobes au cours des 50 dernières années et en acceptant plus récemment les conditions pour que la Suisse ne devienne pas une auberge espagnole.

Avec 28% d’étrangers établis en ses murs, la Suisse en compte le double de ses voisins européens. Il y a sans doute des xénophobes en Suisse, comme dans tous les pays. Mais aucune nation n’a donné la possibilité à son peuple de rejeter la xénophobie au suffrage universel; la Suisse l’a fait six fois, de 1970 à 1988, à des majorités significatives. C‘est tout à son honneur.

Le «racisme», dont la xénophobie serait une variante, consiste à affubler un ensemble de personnes de tares condamnables à partir de particularités comme la race, la nationalité, le genre, la pratique sexuelle. Les quatre initiatives lancées par l’Action nationale de James Schwarzenbach de 1970 à 1977, de même que celle de l’UDC de 1988, étaient sans équivoque xénophobes. Elles présentaient les étrangers globalement comme une menace exerçant une emprise portant atteinte à l’identité du pays. La première initiative de 1970 ciblait particulièrement les travailleurs étrangers, italiens, espagnols, portugais. «Un petit peuple de maîtres se sent en danger; on a appelé de la main-d’œuvre, et ce sont des hommes qui arrivent», ironisait Max Frisch. Or, ces travailleurs originaires d’Europe latine avaient fait l’effort de s’intégrer dans les sociétés locales. Nous avons accueilli leurs enfants dans nos écoles et pouvons témoigner qu’à niveau socio-culturel égal ils étaient autant, voire plus assidus aux études, car ils recevaient de leur famille le message d’une intégration comme une chance qui passait par la réussite scolaire. Le peuple suisse l’a bien compris.

La Suisse et l’accueil des étrangers

La particularité de la Suisse, c’est sa «démocratie directe, l’une des formes premières de la démocratie dans laquelle le peuple exerce directement le pouvoir politique, alors que dans une démocratie représentative, il l’exerce de manière indirecte.» C’est donc le peuple qui se prononce sur des objets élaborés par des élus, des partis ou des regroupements circonstanciels de citoyens, et c’est lui qui a le dernier mot. Ainsi, au fil des décennies, il a doté la Suisse d’une politique d’«accueil circonstancié» des étrangers, encadrée par des conditions. Il l’a fait en trois étapes; deux qui ont préparé le terrain, et la troisième qui a défini les modalités d’accueil des étrangers:

  1. Le 6 décembre 1992, en refusant l’adhésion à l’Espace économique européen (EEE), le peuple suisse a préservé la souveraineté du pays dans son espace national;
  2. En six votations successives, dont cinq à l’unanimité des cantons, et à des taux de 54 à 84%, il a condamné la xénophobie ;
  3. Enfin, le 28 novembre 2010, il a décidé de renvoyer les criminels étrangers sous certaines conditions, et le 9 février 2014, il a régulé leur accueil par des quotas en fonction de sa capacité d’intégration.

Ce sont ces deux dernières décisions populaires, inscrites aux art. 121 et 121a de la Constitution fédérale qui définissent la politique d’accueil des étrangers de la Confédération helvétique:

  • L’art 121 Législation dans le domaine des étrangers et de l’asile précise dans son 1er alinéa que «l’entrée en Suisse, la sortie, le séjour et l’établissement des étrangers et l’octroi de l’asile relève[nt] de la compétence de la Confédération.» Les alinéas 3 à 6 précisent les modalités d’expulsions «des étrangers qui menacent la sécurité du pays» dans le respect d’un Etat de droit. Il ne s’agit pas de broutilles. 
  • L’art 121a Gestion de l’immigration met en forme le vote du 9 février 2014. On notera son premier alinéa: «La Suisse gère de manière autonome l’immigration des étrangers» complété, au cas où on n’aurait pas bien compris, par le 4e: «Aucun traité international contraire au présent article ne sera conclu».

L’enfer est pavé de bonnes intentions

Il est une réalité incontournable: on ne fait pas de bonne politique avec de bons sentiments, mais avec des arguments, des valeurs, des lois. La gauche en a fait la cuisante expérience avec son initiative «Etre solidaire» du 5 avril 1981, qui présentait, avec une argumentation dégoulinante de bonnes intentions, un étranger bon par nature. Boudée par sa base populaire, rejetée à 83,8%, elle a reçu la claque qu’elle méritait.

En 1989, alors que le débat sur l’accueil des réfugiés faisait rage en France, Michel Rocard, premier ministre du gouvernement Mitterrand, avait affirmé: «La France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit en prendre fidèlement sa part», un propos qui avait provoqué un tollé à gauche. Elle avait soigneusement omis de prendre en compte la deuxième partie de la phrase, «elle doit en prendre fidèlement sa part», faisant fi de ce qui relève de la politique et non de la moraline, à savoir des prérogatives du gouvernement d’un pays souverain en fonction de sa capacité d’accueil. Au fil des années, Michel Rocard a tenté à réitérées reprises de faire entendre cette deuxième partie de son propos, en vain.

Eh bien non, l’«étranger» n’est ni mauvais ni bon par la vertu du Saint-Esprit. Ce n’est pas le propos. C’est de la minorité qui abuse de notre hospitalité pour commettre des crimes qu’il était question dans l’initiative du 28 novembre 2010 «Pour le renvoi des étrangers criminels». La majorité populaire a confirmé cette évidence en l’acceptant. On pouvait faire deux lectures de la formulation «étrangers criminels»: l’une, objective, ciblant des étrangers qui ont commis des crimes graves, ce qui correspondait au libellé du texte soumis au vote; l’autre, identitaire, y lisant une stigmatisation des étrangers en général comme criminels. Le peuple ne s’y est pas trompé. Il a accepté l’initiative qui lui était soumise non par adhésion au discours de ses promoteurs, l’UDC, mais sur son libellé. Bref. Il n’y a aucune raison de garder des criminels en Suisse au détriment d’autres étrangers qui respectent ses lois et ses usages, dont ils prennent la place, de même qu’en amont on doit préserver des conditions d’accueil convenables en fonction des capacités du pays.

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C’est à la double majorité des voix et des cantons, et contre l’unanimité des médias, qu’il dira également OUI, le 9 février 2014, à l’initiative populaire fixant des «quotas annuels [d’immigration] selon les besoins de l’économie dans le respect du principe de la préférence nationale», inscrits désormais dans la Constitution fédérale. L’écrasante majorité des élites politiques, les partis gouvernementaux (sauf l’UDC), les syndicats, plus un grand nombre de regroupements occasionnels avaient mené campagne contre l’initiative au nom de la tolérance envers les étrangers. Le syndicat Unia avait stigmatisé une «forme d’apartheid inhumaine et discriminatoire», «mauvaise pour l’économie». Une étrange contre-vérité au vu d’une politique qui vise précisément à engager une main d’œuvre étrangère qualifiée répondant aux besoins de notre économie. Quant à l’«inhumanité», on en reparlera dans les banlieues sinistrées, que ne fréquentent pas les élites, bien entendu.

La paix civile passe par l’intégration

Accueillir les étrangers ne saurait se résumer aux dispositions constitutionnelles qui fondent sa politique. Encore faut-il veiller à ce qu’ils soient bien reçus et invités à s’intégrer. A cet effet, la Suisse dispose d’atouts dont les deux plus importants sont un réseau très dense d’associations de toutes sortes de la société civile au fort pouvoir intégrateur, et l’Instruction publique. Chaque habitant de notre pays fait partie d’une ou de plusieurs associations pour partager une activité commune, sportive, culturelle, artistique, sociale, scientifique. Elles nous sont tellement familières qu’on oublie qu’elles ont été une conquête, parfois dans la douleur, qui a occupé tout le XIXe siècle, présidant à l’avènement de la démocratie. Quant à l’Instruction publique, elle forme actuellement 800’000 élèves de 4 à 15 ans en scolarité obligatoire, et le 80% de 16 à 18 ans. Au total, 1,5 millions de jeunes représentant le 18% de la population, dont un tiers d’étrangers.

Dans la deuxième moitié du XXe siècle, la Suisse a absorbé l’arrivée massive de Hongrois en 1956, puis de Tchèques en 1968, de Chiliens en 1973, de l’ex-Yougoslavie, d’autres encore. Ils ont vécu successivement l’espoir du retour, la dualité entre leur pays d’origine et celui qui les accueillait. Mais il ne faut pas se payer de mots: l’intégration passe obligatoirement par le partage d’un même désir. Si l’intégration des étrangers des pays précités s’est faite sans heurts en une génération, c’est par une double rencontre, bienveillante de la population avec des nouveaux arrivants disposés à s’intégrer.

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Or, depuis le tournant du siècle, de puissantes organisations subversives déploient une intense propagande en direction de jeunes nés en Suisse visant à les mettre en conflit de loyauté entre l’origine étrangère de leurs parents et l’assimilation dans le pays qui les accueille. Plus que jamais il faut être clairs et stricts si nous voulons préserver nos conditions d’accueil et sauvegarder en même temps la paix civile. Il y a sans doute des xénophobes dans notre pays, comme partout ailleurs, mais seule la Suisse a donné l’occasion par six fois à ses citoyens d’en rejeter l’essentialisation. Il convient de le rappeler fermement à ceux qui, inversant les causes et leurs effets, s’emploient à faire passer pour des victimes des délinquants identitaires.

Marco Polli est comédien et metteur en scène. Enseignant retraité, il fut également le président de l’Union du corps enseignant secondaire genevois et de la Commission Langues Vivantes.

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