Excursionniste émérite, studieux prosateur et brillant opérateur d’appareils photographiques, Theodor Wildt partage fragments textuels et imagés de son élaboration avec les lecteurs du Regard Libre.
L’espace matérialisé au sein duquel s’inscrivent nos existences, le référentiel dans lequel nous situons nos repères, comme il s’offre à notre vue et plus encore à nos sens, se voit désormais communément attribuer le nom de paysage. Il est une entité dont nous sommes issus et dans laquelle nous sommes intégrés en tant qu’acteurs, et de laquelle nous sommes instinctivement séparés en tant que spectateurs. Il comprend l’idée la plus essentielle de l’histoire de la pensée humaine, qui est celle de nature: matrice représentant le tout, son contenu, et son fonctionnement. Aussi aurions-nous tendance à voir la nature dans le paysage; or, c’est bien le paysage qui est dans la nature. Ce terme, apparu au tournant du XVIe siècle, nous vient des ateliers de peinture et détermine à la base l’«étendue de pays que l’œil peut embrasser dans son ensemble».
Il est intéressant de constater que ce qui était à l’origine une projection imagée de la nature sur un support est devenu le support de nos projections idéales de la nature. Car si l’on conçoit qu’elle intègre pleinement notre espèce au même titre que les composantes du monde minéral et vivant, on devrait admettre que tout ce que l’Homme est et crée est naturel par définition. A titre d’exemple, on méprend volontiers le caractère d’un objet dit «artificiel» en cela qu’il est un artifice, une production humaine, avec le fait qu’il serait composé d’éléments «non-naturels».
Refuser à l’humain et à ses émanations – tout imparfaits qu’ils soient – d’en faire partie tient du déni. Un phantasme infantile proche du mythe religieux, d’une nature originelle pure séparée d’un Homme corrompu, ainsi pourvoyeur de sa déchéance. La concevoir sans y incorporer l’Humanité in extenso présume l’inexistence d’une nature humaine et fait de nous des êtres à parachever jusqu’à l’hybris, confondant volonté de puissance avec toute puissance.
Que nous utilisions nos facultés raisonnablement n’en demeure pas moins souhaitable. J’ai découvert la quiétude d’une relation privilégiée au paysage et à la nature dans l’excursion des contrées accidentées de la Nuithonie, entre les rivages alémaniques de la Saane et de la Sense. Pays de la nuit, où les ténèbres permettent la lumière, où les ombres dévoilent les obscurantismes de l’époque, elle est devenue mon espace, mon temps, la source de mon engagement contemporain.
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