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Société

Chronique

Ralph Müller: La machine contre la parole4 minutes de lecture

par Ralph Müller
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Chaque mois, le youtubeur Ralph Müller livre son analyse cinglante d’un phénomène typique de l’époque. Ce mois-ci, il s’attaque aux enjeux de l’intelligence artificielle.

L’intelligence artificielle (IA) fait désormais partie intégrante de nos vies. Déjà. Elle s’est logée au plus intime de nos pratiques, en particulier rédactionnelles. Dans un article paru dans le New Yorker le 30 juin dernier , l’écrivain Hua Hsu, lui-même professeur, s’interroge sur l’utilité d’enseigner encore l’anglais à l’heure où de plus en plus d’étudiants confient à l’IA le soin de «rédiger» leurs textes. Pourtant, comme il le note à juste titre, c’est précisément parce que l’IA bouleverse nos habitudes discursives que l’écriture est plus importante que jamais.

C’est un fait général: l’intelligence artificielle a cette vertu accidentelle de mettre en lumière ce que l’homme a en propre. Et malgré les apparences – apparence de discours, apparence de compréhension, apparence de pensée – l’IA ne parle pas, n’écrit pas et ne pense pas. Ça, c’est notre domaine à nous, à jamais inviolable.

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La capacité de produire un discours authentique va devenir toujours plus précieuse à mesure que l’usage de l’IA s’étend. Nous en sommes déjà au stade où la rhétorique ChatGPT se reconnaît comme telle, et où les contenus rédigés par la machine perdent immédiatement de leur valeur d’être trop évidemment ce qu’ils sont: l’output d’un «prompt». Ça sonne mal et ça tombe bien.

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L’enjeu dépasse celui de l’originalité. Il y va de notre dignité et de notre intelligence. Le culte de l’efficacité nous fait perdre de vue le sens même de la raison pour laquelle nous existons et de notre agentivité. Nous devenons «efficaces» à réaliser ce paradoxe de faire beaucoup tout en ne faisant rien et en ne sachant plus très bien pourquoi on le fait.

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Hua Hsu rapporte une étude selon laquelle 58% des étudiants en anglais de deux universités du Midwest avaient tant de peine à interpréter l’incipit d’un livre de Dickens qu’ils auraient été incapables de lire l’œuvre entière par eux-mêmes. Voilà le prix de l’«efficacité». Une enseignante de littérature m’expliquait l’autre jour que les étudiants sont de plus en plus avides de résumés, qu’ils évitent de lire les œuvres en entier et cherchent à fournir le moins d’effort pour le maximum de réussite. Ils ne se rendent visiblement pas compte de l’absurdité de leur démarche et se trouvent satisfaits d’être les perroquets du superflu.

Il me semble qu’un certain rapport unit le règne de l’image au succès de l’IA. Car par les raccourcis que celle-ci permet, elle sanctionne la primauté de l’apparence sur l’être. On croit que j’ai rédigé ce travail; on dirait que je maîtrise le sujet. Et l’individu, mû par cet idéal de rendement où le chemin importe peu pour autant qu’il soit bref, s’accommode sans sourciller de cette tromperie envers lui-même. Cette question devient alors un problème éthique, et non pas principalement un problème d’éthique vis-à-vis des destinataires qui se feraient avoir par les prouesses de la machine. Non, il s’agit avant tout d’un problème d’éthique personnelle: que deviens-je quand je suis prêt à employer n’importe quel moyen pour parvenir à mes fins?

Que deviens-je quand j’abdique la faculté qui construit mon univers moral et symbolique, qui forge mon identité et nourrit mon rapport au monde – la parole?

Le formateur Ralph Müller livre dans chaque numéro son analyse cinglante d’un phénomène de société. Retrouvez ses vidéos sur la chaîne YouTube «La Cartouche».

Vous venez de lire une chronique tirée de notre édition papier (Le Regard Libre N°120). Débats, analyses, actualités culturelles: abonnez-vous à notre média de réflexion pour nous soutenir et avoir accès à tous nos contenus! 

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