Le Regard Libre N° 33 – Sébastien Oreiller
Chapitre II : Arrivée du fils (suite)
Quand il fut rentré chez lui, dans les pénates de la mère, couché sur son lit la fenêtre ouverte, endormi dans les courants de la nuit, il songea à ce qu’il devait faire. Il repensa aux dernières journées qu’il avait passées en leur compagnie, ce qu’il avait enduré pour elle. Comment, pour lui faire plaisir, il avait accompagné les deux détritus en promenade, comment elle s’était installée à même l’herbe, au bord de l’étang, dans un habit blanc, presque transparente sur le rivage. L’ombre des arbres l’avait noyée. Pendant qu’elle les regardait, pendant que les filles erraient alentour, ramassant les bouquets de petites orchidées et de gentianes pour en garnir leur chambre, eux s’étaient baignés dans cet étang froid qui descend des montagnes, détrempé du courant limpide leur chair impure, sous le regard de la mère. Cette eau, il le pressentait, souillerait bientôt les pentes montagneuses, en torrent rapide, jusqu’à se jeter dans le fleuve en contrebas, inondant la plaine de leur saleté. Les petites gens s’en désaltèreraient à l’envi. Un germe allait s’abattre sur le pays, celui du mépris qu’ils lui portaient, pendant qu’elle beurrait leurs tartines et épluchait les œufs durs. Comment pouvait-elle l’aimer sans les détester ? Lui qui respirait l’air des forêts et des écorces, et la mousse et les animaux des champs. Il détourna son regard dans les profondeurs et vit son reflet, sous lequel gisait, noyée, la jeunesse qu’il avait recherchée.