Les lundis de l’actualité – Clément Guntern
Ce dimanche 10 mars, la commission électorale indienne a annoncé les dates de la prochaine élection dans ce pays aux 1,3 milliard d’habitants. Elle aura lieu du 11 avril au 9 mai, soit six semaines durant lesquelles les bureaux de vote se déplaceront dans tout le pays, suivis par des troupes assurant leur sécurité. Les résultats sont attendus pour le 23 mai. Le Premier ministre sortant Modi se représente pour un nouveau quinquennat à la tête de la plus grande démocratie du monde. En attendant, la campagne bat son plein, principalement entre le parti nationaliste hindou du Premier ministre Modi, BJP, et le parti du Congrès, mené par Rahul Gandhi.
La campagne a été agitée par l’attaque fin février d’un convoi de paramilitaires indiens dans la région disputée du Cachemire, au nord-ouest de l’Inde. Plus d’une quarantaine d’Indiens y ont trouvé la mort, provoquant dans tout le pays une émotion intense. Une telle attaque aurait pu paraître du pain béni pour un Premier ministre nationaliste en pleine campagne électorale: ce dernier aurait pu mettre en avant une image d’homme fort, prêt à tout pour faire respecter la souveraineté indienne. Mais la situation est plus compliquée pour lui: le ratage d’une opération militaire de représailles aurait d’aussi grandes conséquences que l’inaction. Pour l’instant, l’Inde passe plutôt par la voie diplomatique en tentant, avec de plus en plus de succès, d’isoler le Pakistan à l’ONU ou en détournant les eaux de l’Indus.
D’autres enjeux
Mais les tensions avec le voisin et ennemi pakistanais ne sont pas les seuls enjeux de cette campagne électorale. Tout simplement parce que les cinq dernières années ont fortement changé l’Inde. Pour la première fois, la démocratie a été représentée par une religion majoritaire. Autrement dit, le parti BJP de Narendra Modi s’est fait le représentant d’une partie seulement des Indiens: les 80% d’hindous. Dans la vision des nationalistes, la religion est enracinée sur un territoire et les hindous vivent sur une terre qui leur appartient: un peuple, un pays. La minorité musulmane représente quant à elle 15% de la population. Un chiffre qui peut sembler petit, mais qui à l’échelle de l’Inde représente 200 millions de personnes. Ce qui en fait l’un des plus grands pays musulmans du monde.
Depuis l’arrivée au pouvoir du BJP, aucune nouvelle loi pouvant mettre en danger les musulmans n’a été adoptée. Rien sur le papier, mais dans la réalité, il s’agit d’une population dominée et victime d’une multitude de pratiques interdites. Une sorte de police culturelle. Le commerce de vaches, animal sacré dans l’hindouisme, est perturbé, et de nombreux lynchages ont eu lieu. Après les minorités qui doivent être assimilées, il y a encore les régions périphériques comme le Cachemire auxquelles les nationalistes souhaitent retirer l’autonomie.
Les dernières cibles des nationalistes, comme pour tous les populistes à travers le monde, sont les institutions. De nouveau, Modi n’a pas détruit frontalement et clairement les contre-pouvoirs, mais leur influence s’est effritée, comme ce fut le cas de la commission électorale ou de la Cour suprême. Si Narendra Modi et son parti le BJP remportent une fois de plus un mandat de cinq ans, la démocratie indienne survivra-t-elle sous cette forme à cette érosion? Car pour l’instant, le pays passe d’un démocratie libérale à une démocratie ethnique.
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