Les bouquins du mardi – La rétrospective – Loris S. Musumeci
Retour sur une œuvre magistrale, qui tient sa place en haute position dans les chefs-d’œuvre de la littérature du XXe siècle. Après ses deux autres grands ouvrages Des souris et des hommes (1937) et Les Raisins de la colère (1939), l’auteur américain John Steinbeck est revenu en puissance sur la scène littéraire avec A l’est d’Eden en 1952, son roman le plus abouti, le plus complet, qui lui a valu de remporter le prix Noble de littérature dix ans plus tard.
Lorsque Steinbeck a envoyé le manuscrit de cet ouvrage à son éditeur, Pascal Covici, il a joint un petit mot où il comparait cette création littéraire à une création d’artisanat, un coffret en bois.
«Ton coffret, le voici. J’y ai déposé tout ce que j’ai, ou presque, et il n’est pas plein. La douleur et la passion y sont, les bons jours et les mauvais, et les mauvaises pensées comme les bonnes, le plaisir de façonner et quelque désespoir, et la joie indescriptible de créer.»
Le coffret n’était peut-être pas plein; ce qui n’empêche au roman de plonger dans la plénitude de la réalité humaine. La vie des hommes, la vie des femmes, dans toute sa complexité. La vie des fils, la vie des pères, la vie des frères dans leur tragédie, depuis toujours. Les sentiments vertueux, les déchirements du vice, l’héritage familiale de la souffrance, mais aussi celui des joies simples, ainsi que la fatalité dont nul ne connaît les ressorts construisent les personnages qui animent cette histoire qui se déroule «à l’est d’Eden».
Deux familles, les Hamilton et les Trask; trois générations qui observent la mutation du monde entre la seconde moitié du XIXe siècle et l’aube du XXe siècle jusqu’à la Grande guerre; et une terre, la vallée de la Salinas, en Californie du Nord. Le narrateur est issu de la lignée des Hamilton, dont est issu aussi Steinbeck lui-même par son grand-père maternel. Il nous raconte tour à tour la vie des Hamilton, de leur émigration de l’Irlande du Nord jusqu’au terres californiennes, labourées sous les rêves d’un avenir meilleur et la sueur d’un présent dur mais digne; et la vie de Trask, des blessures aussi physiques que mentales d’un père militaire qui fait tout pour ses fils, à l’exception de réussir à leur montrer un peu d’amour.
Et puis les familles se rencontrent, pour se rendre compte que malgré la diversité des chemins empruntés, elles sont pareilles. Les familles carburent à ce qu’il y a de meilleur et de pire en l’homme. Steinbeck dresse un portrait de deux familles, en racontant l’histoire de l’Amérique, en racontant l’histoire des âmes humaines, depuis les récits bibliques. Depuis que Caïn ressentit de la jalousie envers son frère Abel, depuis qu’il le tua, depuis qu’il s’en alla vivre à l’est d’Eden. Pour tenter un nouveau départ.
«Caïn s’éloigna de la présence du Seigneur et partit habiter dans le pays de Nod, à l’est d’Eden.» Gn. 4,16
Dieu pardonne, si le repentir est véritable. A son image, les Trask et les Hamilton tâchent aussi de pardonner, quand cela est encore possible, quand le sang n’a pas encore coulé. Et même à ce moment-là, lorsqu’il est déjà «trop tard», il demeure une parole, un regard qui peut sauver un damné de l’existence.
«Aidez-le, Adam, aidez-le. Donnez-lui sa chance. Qu’il soit libre. C’est ce qui élève l’homme au-dessus de la bête. Libérez-le, bénissez-le.»
Crédit photo: © Flickr
Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com
John Steinbeck
A l’est d’Eden
Traduit de l’anglais par Jean-Claude Bonnardot
Le Livre de Poche
1999
632 pages