En mettant en regard le «Je» et le «Nous», François Huguenin propose une traversée exigeante de l’histoire de la pensée politique occidentale. Une synthèse ambitieuse qui invite à dépasser les clivages contemporains sans céder aux raccourcis idéologiques.
Synthétiser l’histoire de la pensée politique occidentale par la mise en perspective des idées régissant les rapports entre l’individu et la communauté: tel est le parti de François Huguenin dans Le Je et le Nous. Pour rapprocher ces entités en tension depuis la nuit des temps, et peut-être particulièrement sous le régime de l’individu roi et de l’endogamie cognitive des réseaux sociaux, l’essayiste français entreprend de reformuler les fondements de nos conceptions politiques.
Pour ce faire, François Huguenin fait appel à un principe de synthèse par les entités primales du «Je» et du «Nous». Ainsi, le chapitre consacré à l’Antiquité s’intéresse notamment à Aristote, dont la conception «est irriguée par l’idée que le Nous ne préexiste pas au Je ni ne s’y substitue. Le Nous est la réunion des Je et le but de la cité est de favoriser la vie bonne des individus qui la composent».
La présentation méthodique des différents courants de pensée abordés dans l’ouvrage, ainsi que de leurs représentants, repose systématiquement sur ce principe de réduction aphoristique, dont l’effort et l’effet sont appréciables – au prix de compositions syntaxiques parfois alambiquées.
L’auteur fait preuve d’une saine précaution épistémologique: le terrain étant miné par l’idée que chacun se fait des issues contemporaines de l’histoire, François Huguenin appelle régulièrement le lecteur à éviter les raccourcis et la convocation de filiations hâtives ou anachroniques.
Le Je et le Nous a également le mérite de promulguer une approche différente de la métaphorisation spatiale du spectre politique, où les qualificatifs de gauche, de centre et de droite n’évoquent souvent plus que sentiments d’appartenance identitaire et vagues principes moraux séparés de la maîtrise de leurs origines philosophiques. A ce titre, et dans l’intérêt du lecteur, il est à regretter que les notions tant vastes qu’élémentaires convoquées tout au long de l’ouvrage (le bien, la vertu, ou la liberté par exemple) ne soient pas davantage replacées dans leur contexte de signification, selon les époques concernées.
François Huguenin rappelle qu’à l’origine, bien avant l’intervention de saint Augustin, de Thomas d’Aquin ou même de Locke et de ses héritiers modernes, le vœu de séparation entre pouvoir civil et le pouvoir religieux ne fut pas le fait du politique. Il revient aux premiers chrétiens, alors confrontés à la toute-puissance romaine, d’avoir exprimé la velléité d’un désinvestissement des affaires terrestres: «Les choses de César à César, et les choses de Dieu à Dieu», peut-on lire dans l’Evangile de saint Matthieu. « Ma royauté n’est pas de ce monde», dit Jésus dans celle de saint Jean.
Souhaitons que cet essai intéresse le plus grand nombre de Je pour le bien du Nous, et qu’une nouvelle édition permette de corriger le nombre inhabituel de troncatures – probablement générées lors de la mise en page – qui perturbent quelque peu la lecture, plutôt agréable au demeurant.
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François Huguenin
Le Je et le Nous. Une histoire de la pensée politique des origines à nos jours
Les Editions du Cerf
Août 2025
448 pages
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