Les lundis de l’actualité – Clément Guntern
Europe, 2017. Le Brexit n’est au départ qu’un pari raté du premier ministre David Cameron. Avec le référendum, il espère avoir une arme pour renégocier la relation du Royaume-Uni avec l’Union européenne. A 51.9% des voix, les Britanniques décident de quitter le navire. Le Premier ministre vaincu démissionne, s’estimant être un mauvais capitaine pour le navire britannique qui vogue déjà vers sa nouvelle destination. Theresa May est désignée cheffe du Parti conservateur, puis Première ministre par la reine. La dame était une quasi-inconnue sur le plan national, considérée par les médias comme une personnalité fade et sans reliefs.
Une campagne un peu étrange la mène au sommet de son parti, puis de son pays, comme par un funeste hasard. Il faut dire qu’on l’a poussée à prendre les rênes du parti. D’ailleurs, les autres membres des Tories se trouvent bien heureux de ne pas avoir à diriger la nation dans une période aussi trouble. Theresa May mène vigoureusement son remaniement gouvernemental.
Le temps des déconvenues
Au départ, May se convainc qu’une issue positive des négociations est possible tout en allant dans le sens de la majorité des électeurs: «Brexit means Brexit». Mais l’écueil européen s’avère bien plus important que prévu. La réaction de Bruxelles est une surprise au Royaume-Uni. L’UE se montre forte et soudée. En même temps, de l’autre côté de la Manche, le système politique et administratif britannique souffre d’un grand manque de préparation.
Les déconvenues s’accumulent pour Theresa May, surtout après que les élections législatives, qui devaient raffermir le soutien du parlement à son égard, se sont transformées en piège pour elle. Elle ne gagne pas un soutien franc comme espéré, mais au contraire se trouve contrainte de s’allier avec un turbulant parti nord-irlandais. De plus, les épines se multiplient pour une Première ministre affaiblie: la question nord-irlandaise devient plus que jamais conflictuelle et impossible à régler.
L’irresponsabilité faite parlement
Une fois un accord signé avec les négociateurs européens, la Chambre des communes refuse à plusieurs reprises ce qui avait été proposé par la Première ministre, ainsi qu’une foule d’autres solutions. Même en se rapprochant de la date du précipice, les fronts n’évoluent pas comme escompté par Mme May.
Face à tant d’échecs, la question se pose: est-elle simplement une mauvaise dirigeante, ou alors une sadomasochiste qui aime se prendre revers sur revers? Les médias et l’opinion se sont régulièrement moqués d’elle pour ses maladresses en public et son manque d’aisance. Ne faudrait-il pas la voir plutôt comme une héroïne? Malgré tout ce qu’on a pu lire sur elle, Theresa May n’a pas fui ses responsabilités au moment où tous – y compris David Cameron, le grand responsable du désastre – préféraient être spectateurs du Brexit.
Une figure exemplaire?
Peut-être n’a-t-elle pas été des plus habiles dans les négociations et dans le jeu parlementaire, mais elle encaisse choc sur choc, sans se décourager de trouver une solution pour son pays. Car c’est une dirigeante politique plus courageuse que la normale, qui a toujours dit préférer «faire son travail» que «boire des verres au pub de Westminster». En un sens, elle a accepté de payer pour les années d’hypocrisie du monde politique britannique sur la question européenne: on ne peut pas mettre toute la faute sur l’UE et faire croire au peuple que le Royaume-Uni doit rester dans l’union.
Mme May est indéniablement une figure de courage et de raison dans un royaume plus désuni que jamais et au sein d’un parlement qui ne sait pas ce qu’il veut, plus proche d’une garderie que du pouvoir suprême d’un pays. L’histoire ne manquera pas de l’accuser de tous les maux, mais chacun devra s’accorder pour dire qu’elle a été plus forte et responsable que nombre de personnes au Royaume-Uni.
Crédit photo: © Flickr
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