Le Regard Libre N° 16 – Nicolas Jutzet
Le métier de journaliste fait partie des métiers les plus importants dans un monde qui se veut libre. Il lui incombe d’informer son prochain, de relayer des faits au grand public, bref de témoigner de la vie de la cité, soit une tâche cruciale, qui représente une responsabilité non négligeable. Pour être crédible, le journaliste doit faire preuve d’une honnêteté intellectuelle à toute épreuve rigoureuse. Car finalement, c’est l’ensemble de la presse qui en pâtit quand une brebis galeuse s’égare sur le chemin du mensonge, de la propagande. Et c’est là que commence mon reproche. Revenons sur le scandale des «panama papers».
Les «panama papers»
Cette affaire, vendue comme le scoop du siècle, est une vaste fumisterie. C’est tout au plus une nouvelle occasion pour le grand public, dans un élan cathartique abject, de cracher sa haine du possédant. L’affaire est chapeautée par l’organisation des journalistes d’investigation (ICIJ) qui, aidée par un «lanceur d’alerte», a eu accès à 11,5 millions de documents confidentiels d’un cabinet panaméen.
L’ICIJ, qui se donne pour but de «dévoiler les abus de pouvoir, la corruption et les manquements au devoir des institutions publiques ou privées, dans le but de les pousser à agir avec honnêteté, intégrité, responsabilité, afin de faire prévaloir l’intérêt public», fait donc ses révélations grâce à des données dérobées. Ce qui n’émeut personne, ou du moins qu’une faible minorité du monde médiatique, très vite marginalisée.
Soit. Revenons-en au sujet: le fait reproché à ces personnes dont le nom est jeté en pâture, est de détenir, ou d’avoir détenu dans le passé, une société offshore (société établie dans une juridiction qui offre des avantages fiscaux aux non-résidents en échange de frais annuels pour s’établir chez eux). Mince, on a un deuxième problème: détenir une offshore n’est PAS illégal en soi. Ça l’est seulement si cette structure sert à faire de l’évasion (fraude) fiscale. Mais c’est tout à fait règlementaire pour de l’optimisation fiscale.
De fait, les médias, parfois qualifiés de «quatrième pouvoir» (en plus du pouvoir législatif, exécutif et judicaire), ont gravement manqué à leur devoir dans cette affaire. Faisant fi de la présomption d’innocence, ils ont livré des noms sans raison à une populace assoiffée de sang. Jugés sur la place publique, ces horribles traîtres à la nation mériteraient, à entendre la vindicte populaire, tout le malheur du monde. Car pour le citoyen lambda, même l’optimisation fiscale, pourtant légale, semble inacceptable. Il a l’impression que ces personnalités ne participent point au «bien commun» que financerait l’impôt.
L’impôt est un vol
On reproche donc non pas un comportement «illégal», mais «immoral». Un bel exemple de sophisme collectiviste. Je regrette que dans la croyance générale, présente dans les médias comme dans l’enseignement, l’impôt soit vu comme une chose foncièrement positive. Comme une dette envers la société. Alors que l’impôt est un vol, une spoliation, légitimée par le «besoin collectif», sur le dos de la propriété privée! Frédéric Bastiat disait que «la spoliation est un principe de haine et de désordre, et si elle revêt une forme plus particulièrement odieuse, c’est surtout la forme légale». De facto, l’optimisation fiscale, en plus d’être un droit, devient un devoir! Et si au lieu de stigmatiser les «paradis fiscaux», on se demandait pourquoi nous avons fait de nos pays de véritables enfers fiscaux? pourquoi nous avons étendu les tentacules de l’Etat au delà des pouvoirs régaliens
Pendant que toute entreprise privée fonctionne grâce aux recettes reçues sous forme de donation ou de paiement échangé contre un service voulu, l’Etat obtient les siennes par la force (coercition). Que ceux qui s’opposent à cette vision répondent à Murray Rothbard: «Les apologistes de l’Etat soutiennent que l’impôt serait en fait volontaire. Il suffit, pour réfuter cette thèse, de se demander ce qui arriverait si les hommes de l’État renonçaient à l’imposition et se contentaient de demander des contributions volontaires…». Par ailleurs, j’observe avec sarcasme l’ingéniosité de mes concitoyens (de toutes conditions), au moment de remplir la déclaration d’impôt. Chacun cherche à payer le moins possible, mais aucun ne remet en cause le système. Le planisme a fait son œuvre, il a gagné. Il a annihilé toute révolte.
Au lieu de regretter cet état de fait, nous en avons fait une fatalité. Décrétant que seul l’Etat pouvait s’occuper de certaines tâches, nous en avons perdu la maîtrise. Et comme l’appétit vient en mangeant, l’Etat n’a cessé d’étendre son pouvoir. Dans cette spirale sans fin, «l’évasion fiscale préserve la liberté des citoyens en asphyxiant le budget de l’État. Ceux qui la pratiquent n’en profitent pas seulement eux-mêmes, ils rendent service à toute la collectivité en freinant la prolifération des bureaucraties.» (Christian Michel). En oubliant que l’Etat ne pouvait répondre que de manière insatisfaisante à la demande du marché (vous et moi), nous lui avons, par paresse, abandonné une partie de notre liberté individuelle. En retirant du pouvoir à l’Etat, nous réduisons la part d’arbitraire. En rendant sa liberté au marché, nous laissons le consentement mutuel opérer.
Il est important de rappeler que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, être opposé à un financement étatique ne revient pas à être opposé à l’existence même de l’activité financée. Prenons l’exemple des prestations sociales. Mon opposition au financement étatique ne fait pas de moi un affreux sans-cœur qui souhaite voir mourir les gens miséreux dans les rues. Non, ma solution serait de retourner à la charité et à la libre association (assurances) et de jeter aux oubliettes l’absurde solidarité obligatoire que nous connaissons actuellement.
Dans l’attente d’un hypothétique changement de paradigme, et tant qu’en Suisse, il existera des prélèvements absurdes du type «impôts d’orientation» (tabacs, alcool, et peut-être bientôt le sucre), censés protéger les citoyens… d’eux mêmes, j’éprouverai une certaine compassion pour les contribuables en délicatesse avec le fisc. Et si au final, c’étaient eux les moins dangereux?
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