Le Regard Libre N° 40 – Loris S. Musumeci
De L’Avare de Molière au film Radin ! de Danny Boon, l’avarice est un sujet qui titille. Il rougit les joues de ceux qui se sentent concernés, ceux qui ont des sueurs froides lorsqu’ils doivent déployer leur porte-monnaie face à un petit ticket blanc. D’où nous vient l’avarice ? Est-elle naturelle, culturelle ? Concerne-t-elle les dépenses pour soi ou plutôt celles pour autrui ? S’agit-il d’un vice en tous points ? Peut-être un vice nécessaire à régler ses dépenses ? Brève réflexion que voici, avare en mots et en approfondissements trop philosophiques.
Affirmer que l’avarice a toujours existé serait une évidence quasiment inutile à mentionner. Mais qu’est-ce qui la provoque ? Sans s’éloigner vers des accusations trop directes contre la fameuse société dite « de consommation », il convient de remarquer que dans la mesure où l’homme est un être de préhension avant tout et ensuite de possession, il a un rapport plus ou moins ordonné à ses propriétés.
Rousseau et le socialisme nient une partie inhérente à l’être humain, jugeant la propriété malsaine. Pour éviter toute caricature, Rousseau considère davantage que la propriété engage une structure de vice plutôt que d’être mauvaise directement. Quoi qu’il en soit, nous sommes dotés de mains, parties du corps non spécialisées dans une action particulière, qui s’approprient un objet, construisent une maison ou des barrières pour marquer un territoire privé. En quelque sorte, la chasse et la cueillette de ces bons vieux sauvages nomades sont aussi de l’ordre de la propriété. Simplement, cette dernière est mobile.
Sans être nécessaire, l’avarice vient donc d’un donné naturel, qui est celui de la possession. Naturel : est-ce à dire non-culturel ? Pas forcément. La culture exprime une nature universelle dans un contexte social et géographique particulier. Il est donc des cultures et des époques plus généreuses que d’autres, et – vous vous y attendiez – les sociétés les plus riches ne sont souvent pas les plus généreuses. On ne parle pas là des prestations sociales correspondant de manière assez proportionnelle à la richesse d’un Etat. Mais de la générosité individuelle, celle « des gens ».
Et là, il y de quoi rire. Ou plutôt de quoi pleurer. L’avez-vous déjà vu, ce pauvre type qui compte les centimes pour payer son café au bistrot ? L’avez-vous déjà été ? Il calcule bien que 3.90.- CHF sont 3.90.- CHF et non 4.00.- CHF. Laisser dix centimes une fois, on peut s’en remettre, mais laisser dix fois un pourboire de dix centimes à la serveuse, charmante et sympathique par ailleurs, correspond à un précieux franc ! Et imaginez-vous qu’au bout de trente-neuf pourboires de dix centimes, c’est un café en plus que l’on paie. Quelle horreur ! Quel affreux gaspillage !
Monsieur opère ce savant calcul, et il n’ose même pas penser au désastre financier s’il avait offert un café à un ami. Pourtant, notre société l’illustre à merveille, lorsqu’il s’agit d’acheter des choses inutiles et futiles – pour soi, évidemment –, il n’y a aucun problème. L’avare a en fait une générosité qui se limite à lui-même ; celui qui dépense peu pour lui parce que ses fins de mois sont difficiles n’est pas avare, il est économe. Pour guérir de l’avarice, inutile de consulter un médecin, il faut reconsidérer le don et le statut d’autrui dans nos vies. Dans un cercle que les habituels grincheux lieront toujours à de l’égoïsme, faisons l’expérience du gain par la générosité. André Comte-Sponville trouve les mots justes : « La générosité nous élève vers les autres, et de nous-mêmes en tant que libérés de notre petit moi. »
Si l’article vous a contrarié, écrivez-moi et je vous paierai un café pour me faire pardonner.
Ecrire à l’auteur : loris.musumeci@leregardlibre.com
Crédit photo : © Loris S. Musumeci pour Le Regard Libre