La mort de la reine Elisabeth II m’a fichu un coup. Un coup de vieux? C’est possible. Une page se tourne. Mais là, c’est plus qu’une page. C’est un livre. Un grand livre d’images, avec des légendes sous chacune d’elles: Elisabeth infirmière durant la Seconde Guerre mondiale, le couronnement d’Elisabeth en 1952, les voyages officiels dans l’hémisphère Sud avec son mari le prince Philip à bord du yacht royal Britannia. Et ainsi de suite, jusqu’à l’adoubement de la première ministre Liz Truss, mardi dernier à Balmoral, deux jours avant sa mort. Elle était toute menue, souriante au-delà de ce qu’autorise l’étiquette, tenant debout par le dernier souffle du devoir, une main bleuie par une intraveineuse sûrement ôtée pour l’occasion.
Un symbole de l’Europe civilisation
Certains voient, voyaient, doit-on dire à présent, la «reine d’Angleterre» comme une grand-mère. Et l’on est triste quand on perd sa grand-mère. Moi, je la voyais et la voulais comme un pilier, un symbole de l’Europe, ce qui peut paraître étrange, quand on sait le rapport ambivalent de la Grande-Bretagne à l’Europe continentale. Cette Europe dont elle était à mes yeux le symbole, ce n’est bien sûr pas l’Europe politique actuelle. Non, c’est l’Europe civilisation face à la barbarie nazie. L’Europe du Gulf Stream face à l’Europe de la bise.
Vous l’avez compris, ce sont des métaphores. La bise n’est pas un vent nazi, du reste, elle est une amie lorsqu’elle chasse la pourriture de la vigne. Non, c’est plutôt que la bise transporte avec elle cet uniforme noir qui menace en permanence la quiétude des sociétés tempérées.
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Aussi, la disparition d’Elisabeth II, qui incarne, avec Churchill, la résistance de toute l’Europe face au totalitarisme, qu’il vienne de loin ou qu’il loge en nous, n’est-elle pas une bonne nouvelle. Avec la Reine qui s’en va pour toujours, on perd moins une grand-mère qu’un doudou protecteur.
Mais c’est ainsi. Il faut savoir se montrer fort et ne pas toujours chercher refuge dans les jupes d’un personnage providentiel. Affronter l’inconnu, se dire qu’il va peut-être falloir se battre pour défendre ses libertés, recréer du symbole unificateur à partir d’un moment de néant, sécher ses larmes, c’est cela, être un homme.
Antoine Menusier est journaliste. Rédacteur en chef du Bondy Blog de 2009 à 2011 et ancien grand reporter au Temps et à L’Hebdo, il est l’auteur du Livre des indésirés. Une histoire des Arabes en France (Editions du Cerf, 2019). Aujourd’hui, il écrit pour le média suisse Watson et contribue aux magazines français Marianne et L’Express.
Crédit photo: Wikimedia CC 2.0
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1 commentaire
Un grand coup de pied donné au malheur ?
En 1940, dans un texte intitulé “Les Amandiers”, Albert Camus notait ceci:
…Nous avons à recoudre ce qui est déchiré, à rendre la justice imaginable dans un monde si évidemment injuste, le bonheur significatif pour des peuples empoisonnés par le malheur du siècle. Naturellement, c’est une tâche surhumaine. Mais on appelle surhumaines les tâches que les hommes mettent longtemps à accomplir, voilà tout.
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…Il est bien vrai que nous sommes dans une époque tragique. Mais trop de gens confondent le tragique et le désespoir. Le tragique, disait Lawrence, devrait être comme un grand coup de pied donné au malheur. Voilà une pensée saine et immédiatement applicable. Il y a beaucoup de choses aujourd’hui qui méritent ce coup de pied. (Noces, suivi de L’été, coll. Folio, Gallimard, 1959, p.112-113).
Ces lignes écrites il y a maintenant plus de huitante années, me semblent d’une grande actualité.
André Durussel, auteur A*dS, 1464 Chêne-Pâquier VD