Dans son dernier roman, le Genevois démonte avec délectation tous les clichés de l’Amérique made in Hollywood. Et on aurait tort de penser qu’on en avait déjà suffisamment entendu parler.
Il y a des frères Cohen et du Quentin Tarantino dans le dernier roman de Joseph Incardona, Stella et l’Amérique, publié aux Editions Finitude. Ce livre est une sorte de road movie à travers le sud des Etats-Unis sur plus de 3500 kilomètres entre la Géorgie et Las Vegas. Dans ce paysage de chaleur extrême et de poussière, à mi-chemin entre Pulp Fiction et No Country for Old Men, l’auteur se joue de tous les clichés que le cinéma et la littérature ont élaborés au fil du temps à propos des Etats-Unis.
Loin des superhéros à la mâchoire carrée et au brushing impeccable, Stella et l’Amérique dépeint une galerie de personnages grotesques et caricaturaux, une cour des miracles d’individus laids, méchants ou estropiés. Tous les poncifs s’y retrouvent: les redoutables tueurs à gages, des jumeaux au visage charcuté digne des frères Bogdanoff, un boxeur qui s’est reconverti en barman, un curé ex-Forces spéciales armé jusqu’aux dents, une vieille diseuse de bonne aventure, une femme fatale, un journaliste immigré ambitieux. Un cardinal pourri.
Une «Vierge à l’envers»
Personne, ou presque, ne sort indemne de cet exercice de style orchestré avec délectation par Joseph Incardona. Même Stella, la jeune fille mi-sainte mi-putain, balance «entre la connerie magistrale et l’absolue générosité», selon le narrateur. Il la dépeint comme une sorte de «Vierge à l’envers» dont l’existence seule «remet deux mille ans d’histoire en question». Pas étonnant dès lors que le Vatican veuille à tout prix l’éliminer. Car une prostituée qui soigne les paralytiques en couchant, cela fait mauvais genre; il vaut mieux en faire une martyre.
Comme il se doit dans un livre empruntant au western et au film noir, Joseph Incardona ajoute à ce tableau un soupçon d’explosions, une pincée de fusillades et quelques cadavres bien choisis. Et, loin de s’effacer derrière son action, il s’amuse à greffer des commentaires bien sentis, des réflexions philosophiques et même des citations d’Alice Rivaz. Le résultat est jouissif à souhait. La plume est acérée et jubilatoire, l’intrigue outrancière et les dialogues savoureux. Le tout se déguste en un rien de temps, comme un cocktail sur une chaise longue au bord de la mer.
Mais, au-delà de cela, l’écrivain s’interroge sur cette Amérique de carte postale, celle des chansons de Bruce Springsteen, qui a forgé notre imaginaire collectif durant des décennies. Elle nous a vendu du rêve grâce à ses récits en forme d’épopée et de légende, là où même les salauds peuvent devenir des héros. Or c’est une Amérique qui se meurt, «elle et son drapeau qui se mouche dans les étoiles», comme le souligne le narrateur. Et avec elle, «c’est nous aussi qui mourons un peu».
Ecrire à l’auteure: sandrine.rovere@leregardlibre.com
Vous venez de lire une critique en libre accès, publiée dans notre édition papier (Le Regard Libre N°109). Débats, analyses, actualités culturelles: abonnez-vous à notre média de réflexion pour nous soutenir et avoir accès à tous nos contenus!
Joseph Incardona
Stella et l’Amérique
Editions Finitude
Janvier 2024
224 pages