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Economie

Chronique

Le Nobel 20253 minutes de lecture

par Deirdre McCloskey
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deirdre mccloskey

Dans sa chronique, l’économiste américaine Deirdre McCloskey explique pourquoi, selon elle, la richesse moderne découle moins du capital que de la liberté des individus et de la puissance des idées.

Les économistes pensaient autrefois que l’accumulation de capital était la cause de la richesse des nations. C’est une évidence que l’on peut s’enrichir en usurpant son voisin. C’est ce qui fait l’attrait du vol. Même Adam Smith, qui s’opposait farouchement au vol, à l’esclavage et à la conquête par vous ou par votre Etat, croyait que ce qui faisait la richesse nationale était le capital accumulé. Après tout, disait-il, en 1776, la Hollande était riche et avait plein de capital physique, alors que les Highlands écossais étaient pauvres et n’en avaient pas beaucoup.

Il a fallu deux siècles et demi pour que les économistes sortent de cette vérité apparente. Marx, qui suivait Smith sur de nombreux points, pensait que la «plus-value» tirée de la classe ouvrière était réinvestie par les capitalistes, ce qui enrichissait le pays, et surtout les capitalistes. Le marxiste français Thomas Piketty a construit sur cette même croyance son livre sensationnel – et sensationnellement erroné – au sujet des inégalités publié en 2013.

Mais les marxistes n’étaient pas les seuls à continuer de croire que l’accumulation de capital – l’empilement de briques, ou de diplômes universitaires – était la source de nos richesses. Pendant des décennies après sa création en 1944, la Banque mondiale a suivi la recette orthodoxe «Ajoutez du capital et remuez». Cela n’a pas fonctionné. Le Ghana a reçu une aide étrangère massive, mais n’est pas devenu riche. Dans les années 1990, la Banque mondiale a donc adopté une nouvelle recette: «Ajoutez de (bonnes) institutions et remuez». Cela n’a pas fonctionné non plus.

Ce que les économistes et leurs adeptes n’ont pas vu, c’est que l’étrange grand enrichissement du monde depuis 1776, de 3000% par personne, a été principalement causé par l’innovation. On ferait donc mieux de retirer le mot trompeur «capitalisme» et de le remplacer par «innovisme». Les innovateurs, une fois libérés de l’Ancien Régime, ont imaginé de nouvelles façons de faire les choses. Les chemins de fer. Les moteurs électriques. L’université moderne. Internet. Permettre aux femmes de travailler contre rémunération. Mettre fin aux droits de douane sur le commerce extérieur. Et ainsi de suite, avec des milliards d’innovations propres au monde moderne.

Le capital était parfois nécessaire, bien sûr, en particulier pour les chemins de fer, par exemple. Mais toutes sortes de conditions qui ne sont pas en elles-mêmes créatrices de nouvelles façons de faire les choses, comme disposer d’une main-d’œuvre ou respecter les lois, étaient également nécessaires. Et d’autres inventions modernes comme les outils informatiques sont avant tout des concepts, qui ne nécessitent aucun investissement en capital.

Ce qui est décisif et représente le vrai secret de la croissance économique moderne, c’est la créativité humaine. En 1911, Joseph Schumpeter, en 1928 Allyn Young et en 1933 G. T. Jones ont commencé à s’éloigner du dogme selon lequel le capital entraîne la richesse. Hélas, de nombreux économistes récents continuent à penser d’après cette idée, au sein de ce qu’ils appellent la «théorie de la croissance».

Mais Young et Jones sont morts prématurément, et Schumpeter est retombé dans le dogme initial. Il a fallu un article de Robert Solow (Nobel 1987) en 1957 pour relancer la réflexion sur la force des idées dans l’économie, ce qu’il a appelé le «progrès technique». C’est comme la matière noire et l’énergie noire qui, selon les physiciens, représentent aujourd’hui 95% de tout ce qui existe. Pourtant, les économistes s’accrochaient toujours au dogme de Smith-Marx, et le comité Nobel a décerné des dizaines de prix à des économistes qui l’ont développé.

En novembre, le comité a enfin reconnu la différence fondamentale: ce sont les idées, et non le capital, qui ont façonné le monde moderne. Il a décerné le prix à un théoricien français et à deux scientifiques empiriques, le Canadien Peter Howitt et mon cher ami Joel Mokyr, qui est néerlandais, israélien et américain. Hourra!

Mais quand les économistes comprendront-ils que les nouvelles idées elles-mêmes ne sont pas venues d’autres éléments de capital physique, mais de la libération des gens ordinaires? Le libéralisme originel qui prône l’égalité en matière de droits de faire des choses est la principale raison pour laquelle nous sommes prospères.

Espérons que cette prise de conscience ne prendra pas deux siècles et demi.

Tous les mois, carte blanche à Deirdre Nansen McCloskey. Professeure émérite d’économie à l’université de l’Illinois à Chicago, elle est titulaire de la chaire Isaiah Berlin en pensée libérale du Cato Institute, à Washington D.C.

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