Le Regard Libre N° 35 – Hélène Lavoyer
Les fêtes de fin d’année sont l’occasion, pour beaucoup, de se retrouver en famille ou entre amis ; de mettre sous le tapis rancœurs et regrets ; de partager, d’offrir, de célébrer nos communautés. Pour certains, cependant, point de cadeaux sous le sapin ou de messages sur le répondeur, nulle chaleur familiale ou amicale ne se dressant à la porte les soirs de Noël ou de Nouvel An.
Loin de nier la souffrance pouvant être liée à la solitude et qui peut-être atteint son paroxysme en hiver, nous sommes tout de même devant un constat : contre la solitude, notre société ultra-connectée a élaboré toutes sortes de stratagèmes.
Grâce aux technologies nées au début du XXIe siècle, le contact se veut possible à chaque instant, et s’il s’agit bel et bien d’un avantage pour entretenir un lien avec ceux qui sont à distance, cette communication peut s’avérer étouffante – à l’image des couples (amicaux ou amoureux) qui se disent tout, des petits aux grands rendez-vous, leurs joies les plus profondes comme leurs questionnements les plus personnels.
Rainer Maria Rilke, dans ses Lettres à un jeune poète, conseillait déjà au destinataire de vivre sa solitude, et discutait du malheur des jeunes couples qui partageaient tout, ne voulant faire qu’un alors qu’ils n’étaient respectivement pas encore eux-mêmes.
Et si nous avions confondu isolement et solitude ? Et si, au lieu d’être le retournement du couteau dans la plaie, la solitude était plutôt le baume le plus puissant qui puisse exister ? La réflexion de Jacqueline Kelen dans son ouvrage L’Esprit de Solitude nous a paru être une ouverture à une solitude heureuse et prolifique.
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Être à l’écart indique qu’il existe au moins une différence chez l’individu écarté et que cette différence crée une distance entre lui et les autres, une distance infranchissable ; écarter évoque une action, mettre à l’écart. La solitude, elle, est un état et son maintien, une lutte. Celui qui choisit d’être seul, qui se procure du temps pour explorer son intérieur et l’enrichir de ce qu’il aime et aimerait connaître, obtient la liberté.
En effet, la solitude concerne n’importe lequel d’entre nous. Combien de grandes personnalités de notre riche histoire occidentale et même du monde entier ont suggéré, préconisé même, le fait de se retrouver seul, puisque chacun possède une vie unique et que personne ne peut vivre avec quelqu’un tant qu’il ne sait vivre avec lui-même ?
La solitude est inhérente à la situation de l’individu, puisque – propos illustré et argumenté par Thomas Nagel dans son célèbre article « What is it like to be a bat ? » (ndrl : « Quel effet cela fait-il d’être une chauve-souris ? ») – personne ne saurait ce que c’est que d’être l’autre, qu’il soit aimé ou détesté, que l’autre lui inspire un quelconque sentiment ou non. La seule certitude, c’est que « je » existe.
Il semble évident que, même si cet état de solitude est choisi, il n’en est pas pour autant facile à vivre. S’il est subi, il ne pourra pas faire éclore les bourgeons qui dorment à l’intérieur. Il s’agit également, et plus que tout, d’habiter sa solitude, de la faire sienne et de saisir cette occasion d’entretenir les parties de nous-mêmes qui sont le plus nous-mêmes, fruits parfois de longues heures de doutes et de souffrances.
Dans la solitude naît la réelle identité de l’individu qui, une fois révélé à lui-même, devient maître de son destin en prenant connaissance de ses dons et de ses différences. Cette identité individuelle, nos sociétés uniformisantes l’empêchent, au sens où le contact constant plonge notre moi dans celui des autres, et les mélangent jusqu’à les dissoudre. Et du manque de personnalité et d’assise personnelle découle également une souffrance innommable.
Toutefois, l’exil ne représente pas l’unique solution. Une vie solitaire peut être vécue en société, en couple, et le solitaire est tout à fait à même de vivre de riches amitiés. Il s’agit de se donner le temps. L’éclosion manifeste d’un intérêt pour des pratiques comme la méditation dans nos sociétés occidentales compose avec un besoin de solitude qu’il est urgent d’écouter.
Il s’agit de s’évader de la scène communautaire l’espace de quelques minutes, voire de quelques heures, afin d’y revenir confiants. D’enrichir notre intériorité de la passion qui nous habite, de travail, afin de déverser sur le monde la lumière de notre personnalité. Lorsque l’on s’aime soi, alors il est possible de sentir aussi bien notre unicité que notre connexion avec les êtres du monde entier.
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Crédit photo : © zmescience
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