Regard sur l’actualité – Nicolas Jutzet
Le 24 juin 2016 restera dans l’histoire comme le jour qui a vu l’idée européenne se fissurer. Au dépouillement, un schisme apparaît ; l’Ecosse et l’Irlande du Nord votent IN, pendant que le Pays de Galles et l’Angleterre prennent la route de l’exil en glissant un OUT majoritaire dans les urnes. Les peuples du Royaume-Uni se sont prononcés, et risquent désormais de se diviser, chacun suivant son chemin, en solitaire. D’aucuns trouvent ce choix funeste, irrationnel voir même dangereux ; je dirais juste qu’il est inédit et représente un saut dans l’inconnu grisant.
En votant le Brexit, le Royaume-Uni s’est condamné à la volatilité, à l’incertitude. En face, l’Union européenne, cette amante cocufiée, est rageuse. Elle crie à la vengeance, voulant éviter d’autres exodes, et promet d’être impitoyable durant les négociations. Démissionnaire, Cameron laisse une véritable usine à gaz à son successeur. Avec l’appui du parlement, la ou le nouvel élu va devoir invoquer l’article 50 du Traité de Lisbonne pour activer le processus de sortie de l’Union européenne, puis patienter, négocier et enfin finaliser cette longue marche vers une souveraineté retrouvée.
Réussir son divorce demande de l’intelligence et du pragmatisme, soit malheureusement tout ce que ne possède pas l’UE actuelle. Déçue, elle montre les dents et risque de refuser ce qui est pourtant une évidence sur le plan économique. Il faut mettre en place des accords de libre échange des biens, des capitaux, des personnes et des services, tout en laissant le Royaume-Uni être maître de sa politique sociale (baisser les prestations sociales restera toujours plus efficace que des contrôles aux frontières). Cameron avait par ailleurs réussi à négocier dans ce sens, et présentait un projet d’Europe “light” face au Brexit. Compromis jugé insuffisant par le peuple. Difficile d’accepter une semi-souveraineté.
Le Royaume-Uni est la quatrième destination mondiale des investissements directs étrangers (IDE), cinquième au classement du PIB, et possède une balance commerciale largement déficitaire (exportations – importations = balance commerciale). On parle donc d’un mastodonte sur le plan économique. Son absence du marché unique serait préjudiciable pour tous, mais avant tout pour l’Union européenne ! En effet, le Royaume-Uni est un consommateur gourmand sur le marché extérieur, et son retrait serait de fait une perte énorme pour tous les commerçants des pays européens.
Les britanniques sont paradoxalement en position de force. Le pragmatisme voudrait que des accords bilatéraux, dans une forme s’approchant de ceux conclus avec la Suisse, soient signés (à de meilleures conditions que nos bilatérales I et II). Contrairement à nous, la Grande-Bretagne aura le courage de peser dans les négociations en regardant de haut cette Union européenne sur le déclin. Alors l’UE négociera, ou mourra de son obstination. Si l’on compare l’UE à une classe d’école, elle vient de perdre un élément brillant, et voit le cancre assis au fond près du radiateur (la France) prendre plus de pouvoir. Rien de réjouissant.
Le choc sera rude sur le court terme, car toute période d’instabilité est une épreuve pour l’économie (on le voit sur les marchés boursiers, complètement perdus) ; mais une fois l’obstacle surmonté, le Royaume-Uni (ou plutôt ce qui en restera), sortira grandi de l’aventure, libéré du fardeau européen qui a réussi à transformer une belle idée en cauchemar bureaucratique. Tout amoureux de l’idée d’une Europe pacifique doit se réjouir de ce Brexit ; il doit mener à des jours meilleurs. Mais avant, une longue traversée du désert nous attend.
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Crédit photo : Nouveau Centre