Prenez garde! Le comique le plus maladroit de sa génération revient nous offrir ses éternelles frasques dans une mini-série proposée par Netflix. Une œuvre d’environ une heure quarante, au découpage épisodique plutôt inutile tant cette histoire semble avoir été écrite pour être un film. Mais que vaut ce nouveau dérivé de Mr Bean que nous offrent Rowan Atkinson et Will Davies?
Trevor (Rowan Atkinson) est engagé pour garder une luxueuse maison durant les vacances de ses propriétaires. Mais rapidement, l’univers plongera dans le chaos le plus absolu face à l’insurmontable puissance d’un terrible prédateur. Cet univers, c’est celui de Trevor et ce prédateur, c’est une abeille. Vous l’aurez compris, le postulat tient en deux lignes, mais il est agréable de se souvenir que les enjeux n’ont pas toujours besoin de répondre à l’appel de la surenchère: au cinéma, il suffit de s’attacher au personnage pour que la moindre contrariété devienne grandiose. Et Rowan Atkinson est drôlement attachant.
La dernière figure comique
Le film comique est une denrée rare aujourd’hui. Rappelons son âge d’or lors du début des années 20. Chaplin, salué alors par l’ensemble du monde, représentait à lui seul toutes les qualités (ou tous les défauts pour certains) du cinéma. Derrière Chaplin, on admirait les figures de Keaton, Laurel & Hardy, Max Linder ou Harold Lloyd. L’adaptation à un cinéma parlant a marqué la fin de bon nombre de ces légendes. Mais par la suite, plusieurs auteurs se sont nourris de ces figures pour faire perdurer ces personnages physiques et déclassés: rappelons-nous Jacques Tati, Louis de Funès, Jerry Lewis. Aujourd’hui encore, quelques-uns puisent encore dans ce répertoire sous des formes aussi diverses que celles de Jim Carrey ou Albert Dupontel. Mais parlons plutôt de celui qui nous intéresse aujourd’hui: le talentueux Rowan Atkinson.
Il est peut-être celui qui incarne le mieux l’héritage du cinéma comique des premiers temps: il interprétait le personnage de Mr Bean, immédiatement reconnaissable à son physique, à ses mimiques, muet et toujours marginal par rapport à son environnement, moteur principal du gag. C’est la formule des premiers temps: le personnage est ainsi déplacé de lieu en lieu, dans des situations diverses, et produit une série de gags nous rappelant sans cesse l’arbitraire des codes sociaux qu’ils ne possèdent pas. Ainsi, contrairement à la logique de tout bon récit, ici ce n’est pas le personnage qui évolue, mais son environnement. Pire encore, son environnement n’évolue pas, il régresse suite aux frasques du personnage! Cet héritage se retrouve encore dans Seul face à l’abeille où l’acteur, du haut de ses 67 ans, continue de jouer avec son corps et s’éloigne d’un Johnny English trop verbeux.
A lire aussi | Johnny English contre-attaque: drôlerie sans tension
Un siècle plus tard, comment toujours faire rire?
Seul face à l’abeille se compose ainsi en une succession de gags où le déploiement habituel du récit laisse place à un crescendo de catastrophes toujours plus dévastatrices. La réalisation reste très fonctionnelle et s’intéresse avant tout au meilleur moyen pour traduire l’effet comique à l’écran. Même remarque pour le montage. Il est dommage de constater qu’en plus de cent ans, avec la technique et les possibilités numériques d’aujourd’hui, l’humour visuel peine encore à se renouveler. Pourtant le rapport d’échelle entre nos protagonistes ou encore la technologie qui régit l’espace, inconnue pour Trevor, auraient pu offrir de la nouveauté. Ce n’est que trop rarement le cas.
Les gags sont pour la plupart prévisibles et peinent à donner un rythme à l’ensemble. Pire, le découpage en épisodes de 10 minutes renforce l’impression de n’avoir assisté qu’à de longues mises en place pour un final trop humble. Cependant, là où bien des effets reposent largement sur le rythme et la surprise, le gag visuel parvient toujours à déclencher en nous un certain plaisir, une satisfaction de voir l’inévitable se produire. On pardonne plus facilement une blague pas assez drôle qu’un drame trop sérieux.
L’éternelle sympathie du comique
C’est que la caractéristique la plus importante du personnage comique est sa capacité à gagner la sympathie du spectateur. Même quand le comique est immoral (repensons à certaines saillies incorrectes de Groucho Marx), il demeure apprécié du spectateur. Le personnage comique, en s’inscrivant dans les marges, est un libérateur. Il nous permet de rire à travers lui de ce dont on ne doit pas rire. De se révolter par procuration contre les normes, les règles, les obligations.
C’est le cas de Trevor qui utilisera l’outil comique de révolte le plus satisfaisant: la destruction. Petit à petit, chaque objet de valeur sera au choix écrasé, brûlé, inondé, découpé, explosé et suffit à nous donner notre dose de divertissement teintée d’un sentiment de justice face aux excès des plus riches. Toute la valeur d’un Piet Mondrian s’effondre lorsqu’une de ses toiles est traversée d’un coup de marteau, puis réparée à l’aide d’un peu de scotch et d’un bout de toile ajouté.
C’est pourquoi Seul face à l’abeille, malgré ses imperfections de rythme et un manque de variété dans les ressorts humoristiques, reste une mini-série sympathique et agréable à regarder. Car face à une industrie de plus en plus cloisonnée où le but vise systématiquement une évolution des personnages, visionner une œuvre au service d’un sexagénaire maladroit où le seul but est la détérioration de ce qui l’entoure est ce qu’il y a de plus agréablement régressif.
Ecrire à l’auteur: jordi.gabioud@leregardlibre.com
Crédit photos: © Ana Cristina Blumenkron
Vous venez de lire un article en libre accès. Débats, analyses, actualités culturelles: abonnez-vous à notre média de réflexion pour nous soutenir et avoir accès à tous nos contenus!