Nouveau roman de l’Américaine Joyce Maynard, Où vivaient les gens heureux raconte le parcours d’une mère et épouse, émaillé d’échecs et de renoncements, mais aussi de calme et de sourires. Une histoire en partie inspirée par sa propre vie. Et qui, oui, m’a ébranlé.
C’est un roman qui contient toute la solitude et la tristesse des rébellions tues. Un roman sur la longueur, qui prend le temps de se déployer et d’avoir des moments de creux, un roman qui se donne le luxe de l’alanguissement. Et c’est surtout l’une des très rares fois où j’ai été ému en refermant le livre, tant les personnages nous paraissent proches.
Où vivaient les gens heureux retrace la vie d’Eleanor, de son adolescence à sa vie de grand-mère. La scène d’introduction nous positionne à ses côtés, lors du mariage de l’aîné de ses enfants. A l’écart, assise sans bouger, elle semble flotter sur les événements et ne pas être à sa place. L’histoire remonte alors le temps et se présente sous forme d’un long flashback, où l’on partage les joies et les peines d’Eleanor, ses espoirs comme ses drames.
Après une jeunesse privée d’amour, Eleanor entrevoit le bonheur auprès de Cam, son premier coup de foudre. Aux émois de la rencontre succèdent très vite les accents solennels du mariage, puis les pleurs du premier enfant. Jusqu’au délitement soudain. Eleanor subit en silence, elle endure sans crier. Elle tangue sans faire de heurt. Mais elle souffre, avec l’atrocité de la docilité.
«Toutes ces petites meurtrissures, ces chagrins, ces blessures, ces regrets, les mots qui faisaient mal, la douleur qu’on s’inflige les uns aux autres, intentionnellement ou non, semblaient si graves à une époque. Parfois on ne se souvenait même plus de ce qui nous avait rendus si furieux, si amers, ce qui nous avait tant blessés. Ou peut-être s’en souvenait-on, mais était-ce si important, finalement?
Et on se retrouvait là finalement, on ouvrait les yeux comme après un long sommeil, un peu étourdi, clignant des paupières dans l’éclat du soleil, simplement heureux d’être à cet endroit et de se réveiller.»
Joyce Maynard nous raconte la normalité, sans rien enjoliver, mais sans pathos non plus. Elle raconte la vie dans tout son désemparement, les rêves banals et les lentes fissures. Je me suis retrouvé totalement happé au cœur de cette intimité familiale, comme si les vies qui se déroulaient sous mes yeux étaient celles de mes proches. J’étais traversé par les mêmes émotions qu’Eleanor, en empathie absolue. La frontière du papier n’existait plus, ce qui ne m’arrive jamais!
Où vivaient les gens heureux est la grande fresque du désarroi, où l’incommensurable chagrin se mêle à la beauté et scintille, parfois. Où le bonheur est fragile et s’attrape souvent par reflet.
«Elle rencontra également des hommes bien, qui auraient pu lui briser le cœur si elle les avait laissés faire, non par passion, mais par chagrin.»
Ecrire à l’auteur: quentin.perissinotto@leregardlibre.com
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Joyce Maynard
Où vivaient les gens heureux
10 / 18
Format poche
2022 [2021]
600 pages