Les plateformes ciné du samedi – Ivan Garcia
Au fil d’une première saison convaincante, l’anime Dorohedoro dessine un univers divisé entre mages et non-mages, au sein duquel règne l’injustice envers les derniers. C’est sur ce fond de critique sociale qu’un homme-lézard tâchera de retrouver la mémoire et celui qui l’a transformé. Passionnant.
Il s’appelle Caïman. Il a une tête de… caïman et une force surhumaine. Mais cette face de lézard, ce n’est pas celle qu’il avait à l’origine. Caïman a été victime d’un maléfice, lancé par un mage très puissant. Depuis, il est immunisé contre la magie, il a cette tête de reptile et, dans sa gueule, un type est caché et se manifeste à chaque fois qu’il avale un mage. Subtile méthode pour essayer de retrouver celui qui l’a transformé…
Dans sa quête du responsable de sa transformation, Caïman fonctionne en duo avec son amie Nikaïdo qui tient un restaurant, cuisine de délicieux «gyozas», se bat bien et… est un mage – mais ça, Caïman ne le sait pas encore au début de la saison 1. Ensemble, ils sillonnent les rues d’Hole, une énorme cité sale et misérable qui sert de terrain de jeu à des mages, venus du monde des mages, qui en profitent pour tester leur magie sur les habitants de la ville… A force de chasser le sorcier, ils attirent l’attention d’En, le chef de la «En Family» qui règne sur le monde des mages, qui se met en tête de faire la peau à ce duo de malandrins…
Un univers sombre et violent
Cette première saison de Dorohedoro compte douze épisodes – treize si l’on compte un épisode bonus – qui déroule sous nos yeux un univers violent et sombre. Au contraire d’animes plus «classiques», Dorohedoro privilégie des séquences aux tons sombres et à l’esthétique punk avec une touche de grotesque en plus. On trouve ainsi des personnages plutôt disproportionnés, avec des looks tout à fait originaux et tape-à-l’œil tels que Turkey, un mage qui porte un masque en forme de dinde rôtie, ce qui les rend facilement reconnaissables pour le spectateur. On s’attardera notamment sur la manière originale de traiter la magie dans l’histoire. Le corps des mages est différent de celui des humains normaux. En effet, les premiers possèdent des sortes de «veines» à fumée qui leur permettent de produire «la fumée» magique et les dote de certains pouvoirs. Certains mages, tellement puissants, vendent même leur fumée qui sert de drogue et/ou produit dopant à des mages moins puissants.
Dorohedoro, adaptation en anime du manga éponyme, est un seinen (ndlr: manga pour adultes) qui n’hésite pas à montrer des scènes violentes, comme lorsque Caïman coupe les doigts d’une jeune mage, Ebisu, et lui arrache le visage, ou encore lorsque Shin, l’un des «nettoyeurs d’En», utilise sa magie et «découpe» ses victimes tout en les gardant en vie. Dans cet anime, la violence est montrée sans filtre, ce qui est appréciable, et elle est parfois droppée d’un peu de ridicule telle que dans l’épisode 3, où les morts-vivants d’Hole revivent, une fois par an, en raison de la fumée des mages qui stagne sur la cité et les habitants sont chargés de les massacrer pour gagner des prix.
A la chasse aux «Yeux-en-Croix»
En même temps, l’histoire présentée ne manque pas de piquant et de ressorts. En effet, la quête personnelle de Caïman et l’histoire d’En semblent liées. Au cours de la première saison, on apprend qu’un mystérieux groupe de mages subalternes, «Les Yeux-en-Croix», gère le trafic de «fumée» magique et s’oppose à En et à son groupe. C’est en apprenant leur existence que l’on remarque que Caïman possède des… yeux en croix. La piste de sa transformation est donc, d’une manière ou d’une autre, liée à ce groupe. Surtout lorsque l’on constate que le type au fond de sa bouche n’est autre que Risu, un membre des «Yeux-en-Croix» qui a été éliminé et qui a été… ramené à la vie par En pour l’aider à trouver la personne qui a transformé Caïman. Avec cette nouvelle vie, Risu se met en quête des raisons qui ont poussé les «Yeux-en-Croix» à se débarrasser de lui.
Il est parfois difficile de tout saisir, tant les personnages, les informations et les intrigues se juxtaposent au cours de cette saison 1. En effet, la plupart des données qui permettent de «connecter les ponts» entre les différents éléments de l’histoire se trouvent dans les épisodes 11 et 12. L’épisode 11 voit notamment Chota, un «partenaire» d’En, montrer un film à Nikaïdo qui retrace l’histoire de vie d’En, de ses origines à sa lutte (inachevée) contre le leader des «Yeux-en-Croix» éclaircissant ainsi une partie du mystère sur la figure d’En et sur ce groupe.
Cette première saison permet notamment d’appréhender le monde des mages et ses règles. On y apprend, entre autres, que, tous les quatre ans, a lieu la Blue Night, un événement pendant lequel les mages cherchent un partenaire et doivent signer un contrat devant… le(s) Diable(s). Un autre groupuscule de démons extrêmement puissants qui semble tirer les ficelles du monde des mages… A tel point qu’on se demande si on n’assiste pas à une «guerre des factions». L’occasion également de voir à quel point les humains et les mages les moins puissants ne sont considérés que comme des parias, abandonnés tels des déchets ou violentés par les mages puissants. Sur fond de fun, l’anime embrasse également des thématiques sérieuses comme l’addiction à la «fumée», la pauvreté, la marginalisation…
Dorohedoro est un anime d’une rare intelligence. Alliant un graphisme underground à une histoire sombre et intrigante, cette première saison a de quoi séduire la plupart des spectateurs. En tout cas, on attend la suite avec impatience.
Ecrire à l’auteur: ivan.garcia@leregardlibre.com