Le discours militant selon lequel les femmes en Suisse travailleraient «gratuitement» jusqu’à mi-février en raison de discriminations salariales a une fois encore été relayé dans la presse. Les études font pourtant état d’un écart dérisoire pour deux postes égaux.
Le 17 février dernier, nous avons eu le droit à la fameuse ritournelle. «En Suisse, les femmes ont travaillé gratuitement jusqu’à ce samedi.» En cause, les écarts salariaux entre hommes et femmes pour des tâches équivalentes, estimés à 14% dans ce pays, selon la fondation américaine Business & Professional Women. Les nombreux médias helvétiques ayant repris cette information envoyée par l’agence télégraphique suisse (ATS), service public inclus, n’ont pas jugé utile d’en vérifier les fondements.
Ils auraient pourtant pu, et dû. Surtout quand on se montre habituellement si attaché à la déontologie du métier, à l’investigation, à la différence entre le journalisme et la publicité! Cela ne s’applique visiblement pas à ce genre d’opérations de communication, comme celle, similaire, du collectif français Les Glorieuses affirmant chaque mois de novembre que les femmes «travaillent gratuitement» jusqu’à la fin de l’année.
Les chiffres montrent une autre réalité
Divers acteurs faisant autorité – contrairement à ces groupes militants – font état depuis longtemps d’une réalité très différente. C’est le cas du très sérieux magazine britannique The Economist, qui s’est intéressé à la question en 2017:
Bien que le salaire moyen d’une femme en Grande-Bretagne soit inférieur de 29% à celui d’un homme, l’essentiel de cet écart résulte des différences de rang au sein des entreprises, des taux de rémunération globaux des entreprises et de la nature des tâches qu’exige un emploi. Selon les données recueillies auprès de 8,7 millions d’employés dans le monde par Korn Ferry, un cabinet de conseil, les femmes britanniques gagnent à peine 1% de moins que les hommes occupant la même fonction et le même niveau chez le même employeur. Dans la plupart des pays européens, l’écart est tout aussi faible.
L’Office fédéral de la statistique (OFS) a déclaré le 19 mars que l’écart de salaire médian entre hommes et femmes en Suisse était de 9,5% en 2022 (contre 10,8% deux ans plus tôt), soit cinq bons points en moins que le pourcentage brandi par Business & Professional Women en février. Or, ces 9,5% indiquent une différence, pas encore une discrimination. D’après la dernière analyse approfondie de la Confédération, datant de 2016, 55,9% de l’écart de rémunération moyenne entre hommes et femmes s’explique par des critères objectifs tels que l’âge, les années de service, la formation, la position professionnelle ou encore la qualification.
La part restante s’explique-t-elle nécessairement par du sexisme? Nul ne peut sonder le cœur et les reins des employeurs. Il n’est guère possible de définir toutes les compétences d’un candidat. Deux individus n’ont jamais exactement le même profil. Et si vraiment les patrons pouvaient moins payer à ce point leurs employées, ils engageraient davantage de femmes…
Les injustices existent; il faut les combattre. Mais une inégalité n’est pas forcément injuste. Si deux mots existent dans une langue, c’est souvent qu’ils désignent deux choses distinctes. L’amalgame entre inégalité et injustice, visible dans l’expression «lutte contre les inégalités», pousse à tout mélanger. Il faut lire l’essai Woke fiction du chroniqueur au Figaro Samuel Fitoussi, paru en septembre:
La disparité statistique peut être comprise comme une injustice uniquement si on compare deux populations identiques en tous points, dotées des mêmes aspirations, soumises aux mêmes déterminismes sociaux et culturels et aux mêmes dynamiques internes. Quand ce n’est pas le cas, les disparités statistiques reflètent souvent des dissemblances entre ces groupes plutôt que des inégalités de traitement par le monde extérieur. (…) Les femmes en France ne représentent que 3,8% des détenus. Seulement 0,8% d’entre elles a été contrôlée par la police plus de 5 fois en cinq ans, alors que cela a été le cas de 4,4% des hommes. Personne n’aurait l’idée d’imputer ces écarts à la misandrie de la police ou de la justice: on les comprend comme le reflet de différences moyennes de comportement entre les hommes et les femmes.
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