Les bouquins du mardi – Lauriane Pipoz
Fatoumata Kebe est titulaire d’un doctorat d’astronomie et d’un master de mécanique des fluides, nous informe le quatrième de couverture de son roman. Le sujet de l’ouvrage en question? Sa passion, la Lune. Mot que l’auteure écrit avec une majuscule. Elle lui a consacré sa vie. Ce livre, c’est l’histoire de cet astre tout aussi connu que méconnu. Fatoumata Kebe veut nous la raconter, à nous qui apprécions davantage la prose romancée que les écrits scientifiques. Eh oui, la lune peut être un roman.
Comment faire de la lune un roman? En racontant les légendes qui l’entourent et en la personnifiant. L’auteure, pourtant issue d’une formation scientifique, a choisi de lui offrir une âme et de lui prêter des fonctions. Cette façon d’écrire, couplée à des événements historiques et physiques énoncés de manière factuelle, fait que le livre se lit très facilement. Même s’il serait dommage de le dévorer d’une traite: les chapitres courts nous laissent tout le loisir de suspendre notre lecture à des endroits opportuns. Et de pouvoir apprécier chaque fait à sa juste valeur.
«Dans l’obscurité, elle réfléchit. La Lune est le miroir de nos rêves, le reflet de nos espoirs et l’ombre de nos peurs. Elle est notre double imaginaire, le premier astre que les premiers hommes aient jamais vu, le premier qu’ils aient découvert. Elle est la seule et elle est seule: la Lune est l’unique satellite naturel de la Terre. Et la Terre est elle-même l’unique planète du système solaire à n’avoir qu’un satellite. La Lune est doublement unique.»
Fatoumata Kebe nous embarque dans son voyage en parlant notre langue: elle vulgarise, explique à l’aide de la culture populaire, fait des hypothèses sur l’origine de certaines idées reçues et s’adresse directement au lecteur. Elle part de la simple découverte de la lune, en passant par la formation de cet astre, les légendes qui l’entourent, notre rapport à lui et termine par sa conquête. L’auteure maîtrise son sujet sur tous les plans: elle passe avec aisance de la physique à l’histoire, en passant par des références sociologiques ou relevant de la psychologie analytique.
En somme, elle fait partie de cette nouvelle vague de diplômés qui mêlent sans peine sciences dures et sciences molles. Et dans un objectif de vulgarisation, cette ouverture d’esprit est la bienvenue: que les chercheurs en sciences humaines appuient leurs théories par des faits de sciences dures est une chose. Qu’une ingénieure ose mêler ses résultats avec une subjectivité assumée, voire avec des émotions, en est une autre – et bien plus originale: cette vulgarisation à des fins artistiques permet de fixer dans la mémoire du lecteur des informations scientifiques sans qu’il s’en aperçoive.
«En français, être lunatique, c’est être d’une humeur imprévisible, versatile, capricieuse, changer d’avis. En anglais, c’est être fou à lier. Les Grecs appelaient séléniaques [ndlr : la Lune, en grec ancien, est séléné] les malades mentaux et les épileptiques. Dire qu’on est bien ou mal lié ou encore que quelqu’un est dans la lune trahit, malgré soi, le rapport irrationnel et très personnel à notre satellite. Un peu comme s’il existait un déplacement de l’humeur vers le rêve et que la perception qu’on a de la Lune balançait entre sérénité et inquiétude.»
S’agit-il d’une démarche féminine? Je n’en suis pas sûre; l’essence de l’écriture artistique est bien d’exprimer et de faire ressentir des émotions. Mais dans tous les cas, Fatoumata Kebe écrit bien en tant qu’astrophysicienne. Et veille en tant que telle à offrir une visibilité aux astrophysiciennes. Dans un chapitre intitulé «Derrière tout homme, il y a une femme», elle nous explique ainsi le destin de Katherine Coleman, astrophysicienne noire, qui sauvera la vie à John Glenn en 1961.
A ceux qui diront qu’elle surfe sur un thème à la mode, je répondrai que oui. Mais avec classe: elle ne s’épanche pas sur sa propre condition de femme dans un milieu considéré comme masculin, mais avance des faits historiques méconnus pour rétablir une égalité. Elle ne critique donc pas ouvertement l’histoire qui n’a retenu que le nom de John Glenn, mais rappelle que, dans les coulisses de son expédition spatiale, l’homme n’était pas seul. Il s’agit d’une sorte d’hommage.
Auquel s’ajoutent au demeurant, tout à la fin du livre, des chiffres dérangeants: seuls 10% des astronautes sont des femmes. Mais l’auteure encore une fois ne se plaint pas de ce constat, et termine sur une note totalement positive. Ce n’est pas un simple chiffre qui l’empêchera de réaliser le but de sa vie. Un exemple: contre les inégalités, dénoncez, mais continuez surtout à travailler.
«Je suis certaine d’aller un jour dans l’espace, je m’y entraîne, je suis un régime alimentaire, je travaille et je continue d’apprendre chaque jour, chaque nuit. Un jour, je partirai. En revenant je vous raconterai. La Lune est le roman de ma vie.»
Crédit photo: © Pxhere
Ecrire à l’auteure: lauriane.pipoz@leregardlibre.com
Fatoumata Kebe
La Lune est un roman
Slatkine & Cie
2019
190 pages