Année après année, Peter Stamm continue d’ausculter les mystères et les connivences entre les individus. Avec L’heure bleue, le romancier thurgovien nous emmène dans l’arrière-scène d’un documentaire sur un écrivain.
Alors que le tournage du documentaire sur l’auteur suisse Richard Wechsler piétine, la jeune réalisatrice Andrea, secondée par son petit ami Tom, décide de quitter Paris pour le village natal de Wechsler. Mais bien qu’il fût censé les rejoindre pour finir le projet, l’écrivain suisse allemand manque à l’appel. Le duo de réalisateurs se met dès lors en quête d’indices et de souvenirs pour comprendre qui était Richard Wechsler.
A partir d’une intrigue bâtie sur trois fois rien, Peter Stamm construit un univers de puits sans fond et d’échos perdus, de questionnements infinis et de flottements intérieurs. L’homme de plume a fait de l’exploration des relations humaines et surtout de leurs paradoxes sa force; L’heure bleue ne déroge pas à la règle et reprend sa pérégrination existentielle initiée il y a plus de vingt ans.
En lisant Peter Stamm, on se questionne, on croit comprendre l’attirance entre les êtres, le désir, la banalité de l’amour et ses oscillations; mais les chapitres alors s’enchaînent et l’on se découvre tout aussi désemparé et perdu que les personnages du texte. Versés comme eux dans l’absurdité des relations humaines.
Une littérature entre chien et loup
Peter Stamm est le romancier de l’incertitude: sait-on exactement ce que pensait Wechsler? Pas du tout. Est-ce que ses livres nous montrent quel homme il a été? Non plus. Est-ce que le projet de film arrive à cerner sa vie? Encore moins. Et cette incertitude se généralise au quotidien, s’empare de tous, à commencer par le lecteur. Et ce, dès le titre, puisque l’heure bleue est ce moment d’indécision, d’entre-deux!
De chacun des écrits de Peter Stamm, il se dégage une ambiance particulière, une atmosphère. Comme un brouillard matinal sur le lac, qui s’évapore gentiment sous la chaleur des premiers rayons de soleil. Il est le romancier des brumes dorées. Le Modiano suisse.
«Mon activité consistait essentiellement à enlever du poids ; j’ai essayé d’enlever du poids tantôt aux figures humaines, tantôt aux astres dans le ciel, tantôt aux villes ; mais surtout j’ai essayé d’enlever du poids à l’architecture du récit et à la langue.»
Peter Stamm inclut également dans cet ouvrage des réflexions à tiroir à propos de l’identité et du lien au monde. Du portrait d’un cinéaste, le roman migre doucement vers l’autoportrait: comment Andrea, à partir d’un portrait de Wechsler, va-t-elle procéder elle-même à son propre portrait? Ce glissement, presque imperceptible lorsqu’on est immergé dans le cœur de la lecture, est symptomatique de toute la démarche de Peter Stamm: en mettant en lumière certains reliefs, l’auteur suisse tente paradoxalement d’en éclairer leurs anfractuosités.
L’heure bleue est la parfaite illustration des thèmes essentiels de Peter Stamm, sans toutefois signer l’aboutissement de son œuvre. S’il diffuse son aura mystérieuse, le roman manque malgré tout d’intrépidité et donne au lecteur l’impression d’avoir sous les yeux un lavis: diluée à l’extrême, l’intrigue parvient à propager un parfum, mais sans silhouette. Un nouvel opus charmant, mais pas détonnant.
Ecrire à l’auteur: quentin.perissinotto@leregardlibre.com
Vous venez de lire une critique en libre accès, publiée dans notre édition papier (Le Regard Libre N°111). Débats, analyses, actualités culturelles: abonnez-vous à notre média de réflexion pour nous soutenir et avoir accès à tous nos contenus!
Peter Stamm
L’heure bleue
Christian Bourgois
Août 2024
230 pages