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Politique

Edito

Les régimes passent, les pays restent5 minutes de lecture

par Antoine-Frédéric Bernhard
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Antoine-Frédéric Bernhard, rédacteur en chef adjoint du Regard Libre. Dessin de Nathanael Schmid

La crise Iran-Israël a ravivé une vieille tentation occidentale: le changement de régime. L’illusion d’une transformation politique immédiate se heurte pourtant au fait que les régimes passent, tandis que les peuples, leurs histoires et leurs cultures demeurent.

Le conflit Iran-Israël a connu un réchauffement inédit entre le 12 et le 24 juin. Pendant la phase aiguë du conflit qui a duré douze jours, les Etats-Unis sont intervenus (le 22 juin) pour bombarder des sites stratégiques liés au programme nucléaire iranien. A l’occasion de cette crise, une notion est réapparue dans les médias: celle de «changement de régime».

On s’est demandé si la stratégie israélienne et, dans une certaine mesure, américaine visait à provoquer un changement de régime en Iran. Certains responsables politiques l’ont affirmé, parmi lesquels le président américain Donald Trump, qui a explicitement communiqué en ce sens. En tout cas, l’idée a de nouveau animé le débat public, comme ce fut le cas lors de la crise libyenne et des printemps arabes en 2011, ou encore lors de l’invasion de l’Irak par une coalition occidentale en 2003.

L’idée de provoquer un changement de régime dans un pays tiers est profondément enracinée en Occident. Elle était au cœur de la politique étrangère de George W. Bush, président des Etats-Unis de 2001 à 2009, mais ses racines sont bien plus anciennes. La Révolution française, événement fondateur de l’Occident moderne, en témoigne dans une certaine mesure: nombre de ses défenseurs s’étaient donné pour mission d’exporter la Révolution à travers le monde.

Aujourd’hui encore, l’idée que l’on pourrait, voire que l’on devrait, continuer à «exporter la démocratie», quoi que cela veuille dire, continue de hanter l’imaginaire politique occidental. Ce thème a pour mérite d’illustrer un point crucial que l’on tend parfois à oublier: le régime politique n’est pas le tout d’un pays. Le cas iranien l’illustre parfaitement: aujourd’hui, cet Etat est une république islamique chiite. Mais il ne l’a pas toujours été, et ne le sera sans doute pas pour toujours. Même si l’Iran devenait un jour une démocratie, il resterait l’hériter de la Perse millénaire, de sa langue, de sa culture, qui transcende largement les aléas politiques qui jalonnent son histoire.

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De même, l’Allemagne a été nazie, avant cela elle ne l’était pas, aujourd’hui elle ne l’est plus, mais elle demeure l’Allemagne. On pourrait multiplier les exemples: la domination de Vladimir Poutine n’est qu’un épisode de la longue histoire russe, le régime communiste chinois, le dernier en date d’une histoire trois fois millénaire, et la République française elle-même n’est pas, à elle seule, la France. En deux siècles, ce pays a connu déjà cinq républiques et deux empires.

En Occident, parce que la démocratie revêt un caractère identitaire très fort, nous tendons à minimiser cette distinction. Nous croyons, souvent sans même nous en rendre compte, que la démocratie n’est pas simplement une forme de gouvernement, mais qu’elle constitue l’essence même de nos sociétés. Nous nous représentons nos pays comme des «démocraties» au même titre que nous les appelons des nations, des cultures, des peuples. Et pourtant, la démocratie n’est rien de plus, et rien de moins, qu’un mode d’organisation du pouvoir. Elle ne dit rien, en elle-même, de ce que sont les réalités profondes sur lesquelles elle repose: l’histoire, les langues, les territoires, les compromis hérités, parfois même les traumatismes fondateurs.

C’est précisément cette distinction que fait apparaître un cas comme celui de la Suisse. Là où l’on s’attendrait à trouver l’expression d’un Etat-nation classique, c’est le fédéralisme qui organise la coexistence de peuples, de langues et de cultures distincts. La démocratie suisse repose sur un équilibre patiemment construit entre les cantons, sur une histoire concrète d’autonomies locales et de neutralité diplomatique. Ce n’est pas la démocratie qui a fait la Suisse, c’est la Suisse, dans sa configuration propre, qui a façonné la forme qu’a prise sa démocratie.

Il est donc essentiel de comprendre que les régimes politiques, même ceux que nous tenons pour les plus légitimes, ne sont jamais absolus. Ils s’enracinent dans des histoires particulières, se surimposent à des réalités antérieures, et doivent s’y adapter pour durer. Tenir la démocratie pour un modèle universel et autosuffisant revient à faire abstraction de cette dimension fondamentale. C’est croire qu’un changement de régime peut suffire à transformer en profondeur un pays, alors que, bien souvent, le régime change, mais la réalité demeure.

Tous les mois, un membre de la rédaction en chef prend position sur un sujet, en lien avec des questions abordées dans Le Regard Libre. Ecrire à l’auteur: antoine.bernhard@leregardlibre.com

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