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Analyse

La renverse de Kamala Harris7 minutes de lecture

par Nabil Djarfi
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Kamala Harris. Photo: Gage Skidmore (via Flickr)

LE RÊVE AMÉRICAIN AU LENDEMAIN DE LA PRÉSIDENTIELLE (2/4). Polarisation croissante, défaite des sondages et du Parti démocrate… Cette suite d’articles a pour ambition de présenter au lecteur quelques pistes de réflexions et leçons qu’il convient de tirer de ces dernières élections.

Selon les opinions vertueuses dont les plus stellaires esprits, mus certainement par une bonté d’âme absolue, se permettent de nous partager l’expression sur les réseaux sociaux, il semble que le fascisme soit de retour à la Maison-Blanche. En allant un peu plus loin, la réserve rationnelle oblige un lecteur sensible à l’étude critique et au savoir apaisé, qui s’interrogera évidemment à propos des raisons ayant conduit à cette débâcle démocrate: pour la première fois depuis l’élection de Georges W. Bush Jr en 2004, et contre toute attente, un candidat républicain remporte le vote populaire contre son homologue démocrate.

Une lecture plus profonde doit proportionnellement guider l’esprit curieux vers quelque chose de peut-être davantage pertinent: la proportion de votants Trump n’a pas évolué dans une tendance particulière. La conclusion rapide que l’on pourrait donc faire serait la suivante: Trump n’a pas gagné les élections, c’est bien la vice-présidente Harris qui a perdu.

Les raisons de la renverse

En 2020, 81 millions d’électeurs ont adoubé le président Biden. En rétrospective, c’est environ 8 millions de plus que les 73 millions que la vice-présidente Harris a réussi à convaincre. Deux constats doivent être interprétés à cet égard: la vice-présidente n’a pas réussi à motiver les troupes, et Donald Trump est resté constant. Cette constance s’inscrit dans une carrure professionnelle plus crédible vis-à-vis de plusieurs dossiers qui attendent le prochain président: stabilité économique, ordre mondial, contrôle des flux migratoires, etc. Il semblerait que l’offre républicaine réponde mieux aux attentes de la société américaine que l’offre démocrate, et c’est en parti véridique, puisque cette élection s’est également décidée sur l’ethos et la capacité à mobiliser son camp.

Et cette première observation induit le lecteur vers une conclusion provisoire: Donald a battu Kamala, haut la main, en renversant le status quo démocrate; là où la Trumpmania est directement, et presque instantanément mobilisable, le camp démocrate a dû lutter pour aller conquérir et séduire une partie de son électorat. L’appui de Barack Obama dans les dernières semaines est arrivé bien trop tardivement pour faire une différence majeure – et pourtant, face à la Trumpmania, les sondages évoquent que seule l’Obamania est plus forte dans l’offre politique actuelle. Beaucoup iront de leur finesse habituelle, en invoquant qu’il y a toujours une base profondément raciste et misogyne au sein du Parti démocrate, qui se refusera toujours de voter pour une femme, qui plus est, racisée.

A cet égard, la tension intellectuelle, supposément bouillante, doit mener à une seconde conclusion provisoire: en politique, comme à la guerre, il faut se méfier des chemins tranquilles que la simplicité peut indiquer.

Des raisons plus évidentes permettent d’exclure l’idée que le Parti démocrate soit viscéralement et fondamentalement raciste et misogyne: à l’évidence, le changement de candidat en pleine campagne est un signe absolu d’instabilité représentative. Il n’aura pas échappé, et même à l’électeur lambda, que cette élection était particulièrement gravée d’une approche, bien que commune, très singulière: aucun des deux candidats ne souhaitait convaincre au-delà de son camp. C’est particulièrement ce qui a fait défaut à la candidate Harris. Enfin, le désistement de Biden au profit de Harris a profité à la rhétorique républicaine, comme un aveu masqué de la petite musique de fond chantée depuis 2020 voulant que le président fût sénile, donc inapte au poste. Cette reconnaissance en demi-teinte est venue ruiner la crédibilité initiale du Parti démocrate envers ses adhérents.

En 2020, Biden rassemblait un peu plus de 81 millions de votes. La folie électorale, réserve faite de la fraude évoquée par le camp adverse, se caractérisait principalement par une aversion sans pareille vis-à-vis du 45e président, et de son personnage sulfureux. La question qu’il conviendrait de poser, avant de prétendre à des arguments fallacieux, est la suivante: où se sont évaporés les 8 millions de votants manquants à Harris? Ce sont eux, ou du moins leur absence, qui ont fait basculer l’élection en la défaveur démocrate.

La mauvaise stratégie démocrate, résultat d’une piètre gestion

Les erreurs seront légions lors de cette campagne pour Kamala: l’absence de rhétorique humble (poussant au déni des faits vis-à-vis de la présidence), le raté de l’ouragan en Floride ayant provoqué plusieurs morts et scruté par toute l’Amérique, pas de cohérence politique, non-incarnation du pouvoir… Toutes ces erreurs tant de communication que d’incarnation du pouvoir, face à un personnage dont le caractère controversé n’était plus une surprise, qui devint, le temps d’une énième fusillade ratée, ou au secours des victimes en Floride, une image de ce que l’Amérique devait être, et bien plus que ce que Harris pouvait incarner: l’héroïsme et la victoire, dépassant à chaque fois les clivages politiques pour renouer avec le rêve américain

Le votant américain moyen a besoin de rêver; pas de s’apitoyer systématiquement et lascivement sur un mode de vie dont la doxa démocrate exige de lui une détestation. Ainsi, pour mobiliser, dit-on qu’il vaut mieux faire envie que pitié, et cette vérité est de toutes les époques.

Dès l’instant du remplacement de Biden par Harris, dans une terreur absolue, pour donner suite à la défaite dans les sondages après un premier débat catastrophique, la précipitation a poussé les Démocrates à agir dans un sens contre-productif. Plusieurs têtes de fil au sein du parti auraient pu faire meilleure campagne que Harris: le pari fait sur la vice-présidente est celui, encore une fois, d’une déconnexion absolue avec le réel.

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Le choix de Kamala au-delà d’autres conduit une rhétorique apocalyptique et reste en accord avec la gestion désastreuse du Parti démocrate depuis des mois, où l’on ne distingue plus de gouvernance claire, où l’on fait des chèques en blanc à hauteur de plusieurs millions de dollars sans réellement savoir où l’argent atterrit et où une rhétorique absolument guerrière s’écrase face à un laxisme de plus en plus décomplexé en matière martiale. Même en essayant de croire au bien-fondé de ses dogmes, force est de constater que le Parti démocrate n’est même pas à la hauteur des enjeux qu’il se fixe pour lui-même.

Pour que ce pari soit gagnant, il aurait fallu que les Etats-Unis eussent bénéficié d’une croissance remarquable, d’une économie vertueuse, d’une politique migratoire stable, et d’un climat mondial en adéquation avec ces prétentions. Or, tout l’inverse s’est produit ces quatre années: guerre en Ukraine, inflation massive, choc migratoire sans précédent, paupérisation des classes ouvrières américaines. A l’heure où les défis posés par la gouvernance mondiale tendent à rendre le monde un peu plus dangereux chaque jour, il semble insensé de laisser encore quatre années une gouvernance morcelée et instable au phare occidental. Quelle que soit notre préférence personnelle, Harris portait l’image d’une remplaçante, quand le votant américain a besoin de rêver pour être convaincu. En s’orientant vers un candidat plus fédérateur, comme Michelle Obama, les démocrates auraient pu remporter cette élection; c’est la leçon que les sondages nous livrent. Un choix onéreux payé en interne: il y a maintenant près d’un milliard de dollars récolté lors de cette élection, et 20 millions qu’il convient de rendre du côté démocrate.

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