La lutte contre le wokisme fera partie du programme de l’Union démocratique du centre (UDC) pour la législature 2023-2027. Une stratégie qui a fait du bruit dans les médias – des deux côtés du Röstigraben – et qui demande qu’on la commente. Malgré les critiques, ce pourrait bien être un coup très habile pour le parti conservateur, à l’approche des élections fédérales.
Sur le plan strictement idéologique, le choix de l’anti-wokisme pourrait laisser sceptique. Les wokes, malgré leur nocivité (déboulonnage de statues, censure, intimidation, etc.), ne représentent pas nécessairement une force politique et intellectuelle majeure. Quelques centaines, milliers peut-être, de perturbateurs aux cheveux bigarrés, à l’identité sexuelle indistincte et aux revendications outrancières, n’ont guère de capacité révolutionnaire très inquiétante. On imagine difficilement une armée d’androgynes multicolores renverser le Conseil fédéral et le Parlement.
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Se focaliser ainsi sur le wokisme pourrait conduire l’UDC à un enfermement dans des combats culturels de niche, au mépris des vrais enjeux politiques du moment. Mais le parti évite astucieusement cet écueil en précisant dans son communiqué de presse:
«Certes, de nouveaux thèmes ont été intégrés, comme le terrorisme de gauche qui sévit dans le domaine du genre et la folie “woke”. Mais le nouveau programme se concentre sur les valeurs et les thèmes traditionnels [du parti]».
Le choix de cette stratégie anti-woke est donc avant tout, pour les agrariens, un outil de communication. C’est là, précisément, que le coup est habile. Car l’UDC est le premier parti sur le plan fédéral à se profiler sur ce sujet. Il prend donc de court les autres formations susceptibles de s’en saisir, et détourne l’attention de problématiques moins à même d’entraîner l’adhésion dans le contexte actuel (notamment les questions de souveraineté).
En matière de stratégie électorale, la dénonciation du wokisme est triplement utile pour l’UDC. Elle lui permet d’abord de désigner très clairement la gauche (majoritairement complaisante à l’égard des wokes) comme son adversaire principal; ensuite de lancer un appel aux électeurs des partis plus centristes également sensibles à la problématique woke; enfin de renforcer l’identité de son propre électorat: il est peu probable que des personnes d’ores et déjà convaincues par les positions de l’UDC ne s’en éloignent en raison de ce choix.
Le «wokisme» est un concept simple et efficace, politique plus que philosophique. Avant toute chose, il sert à désigner les méfaits visibles d’un militantisme progressiste trop zélé. Une fois n’est pas coutume, c’est bien la droite qui est parvenue à imposer un mot dans le débat public. Ce mot anathème de «wokisme» colle désormais à la peau de la gauche, qui doit tenter de s’en désolidariser, soit en le dénonçant à son tour, soit en prétextant qu’il s’agit d’un terme inventé de toutes pièces par la droite conservatrice, d’un phantasme de réactionnaires, etc.
Peut-être a-t-elle raison. Il reste néanmoins que le terme est évocateur pour un nombre grandissant d’électeurs. Il ne leur apparaît pas comme un signifiant vide, mais leur permet de désigner certaines réalités qu’ils perçoivent autour d’eux. L’UDC s’inspire avec profit de la stratégie – habituellement de gauche – des mots infamants, déshonorants. Une façon peut-être de renouer adroitement avec une rhétorique populiste, c’est-à-dire qui en appelle au bon sens des électeurs. En la matière, la gauche risque de se blesser contre un couteau qu’elle ne tient pas par le manche.
Ecrire à l’auteur: antoine.bernhard@leregardlibre.com
1 commentaire
Cher Antoine Frédéric, votre analyse aurait été intéressante si votre définition du wokisme avait été plus proche de ce qu’est vraiment ce mouvement. Vous décrivez les wokes comme des “perturbateurs aux cheveux bigarrés, à l’identité sexuelle indistincte et aux revendications outrancières” dont les actions sont “nocives”.
Lorsque j’effectue des recherches sur la définition de ce mot, j’obtiens ces résultats :
– “Être woke veut dire être conscientisé face au racisme notamment et à l’existence de problèmes sociaux”
– “Courant de pensée d’origine américaine qui dénonce les injustices et discriminations”
Alors certes le terme est souvent galvaudé et utilisé de manière fallacieuse pour discréditer les actions de défense des minorités.
Ma question est simple : dans quel but détournez-vous la définition du concept principal de votre article ?