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Société

L’essai du mois

L’uniforme, miroir d’un monde moderne3 minutes de lecture

par Nicolas Jutzet
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uniforme

Contrairement aux idées reçues, l’uniforme scolaire n’est ni un vestige autoritaire ni un symbole rétrograde. Comme le montre Jean-Claude Kaufmann, il révèle plutôt nos délicats équilibres entre égalité, liberté et sens collectif.

L’uniforme scolaire, c’est un paradoxe cousu main. En Europe, on le regarde comme une relique d’un autre âge, un vestige d’une école d’autorité et de conformisme. Pourtant, comme le montre le sociologue français Jean-Claude Kaufmann dans L’uniforme scolaire (Armand Colin, 2025), il n’a rien de dépassé. Dans la plupart des pays du monde, l’uniforme n’est ni un symbole d’ordre ni du passé: il est simplement normal. Une évidence. L’Europe continentale, elle, fait figure d’exception.

Kaufmann retrace l’histoire de ce vêtement qui en dit long sur la société. L’uniforme n’est pas né pour discipliner, mais pour égaliser. Son apparition remonte aux charity schools fondées en Angleterre au milieu du XVIe siècle, à l’initiative notamment du Christ’s Hospital de Londres. Ces écoles accueillaient des orphelins et des enfants issus de familles démunies, avec un objectif précis: prévenir leur exclusion sociale par l’éducation. Elles leur offraient un cadre protecteur – un toit, des repas et une tenue commune – pour garantir une forme d’égalité dès l’entrée à l’école. L’uniforme naît donc d’un projet d’émancipation. C’est ce même idéal qui explique en partie sa diffusion mondiale.

Sujet explosif en Europe

De l’Afrique à l’Asie, il s’est installé dans les mœurs. Au Japon, certaines écoles font même appel à des créateurs, comme Armani, pour concevoir des uniformes élégants et modernes. Aux Etats-Unis, Bill Clinton en avait fait, dans les années 1990, un instrument de pacification. Il pensait que l’uniforme pouvait être un moyen d’apaiser les tensions entre les élèves. Partout ailleurs que chez nous, porter un uniforme ne choque pas. Au contraire, c’est un marqueur ordinaire de la vie scolaire, pas une exception.

Et pourtant, sur notre continent, le sujet reste explosif. En Europe, le débat se polarise aussitôt: les uns louent la discipline qu’il symbolise, les autres dénoncent une atteinte à la liberté. Kaufmann y voit un paradoxe: historiquement, c’est la gauche qui soutenait l’uniforme, au nom de la justice sociale et de valorisation de l’école, comme lieu important permettant d’acquérir le savoir. Aujourd’hui, c’est souvent la droite qui s’en empare. La gauche a changé de camp.

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La Suisse, elle, illustre ce malaise européen, mais sans les tensions rhétoriques vues ailleurs. En 2006, une école bâloise tenta l’expérience: une quarantaine d’élèves reçurent un uniforme imaginé par une styliste locale – pantalon cargo, sweat à capuche, casquette. Trop moderne, trop proche de ce que les enfants portaient déjà. Résultat, ce fut un échec. L’uniforme avait perdu tout son sens, faute d’avoir respecté le code esthétique que chacun attend inconsciemment: une certaine solennité, un air de sérieux, une forme d’élégance. L’erreur n’était pas dans le principe, mais dans la coupe.

C’est toute la finesse de l’analyse de Kaufmann: l’uniforme ne se réduit pas à un bout de tissu. Il dit quelque chose de notre rapport au collectif et de l’importance accordée à l’école comme endroit différent du reste de la vie. Avec son livre, Kaufmann nous rappelle que l’uniforme, au fond, n’est ni rétrograde ni avant-gardiste. C’est un laboratoire miniature de nos contradictions: entre égalité et distinction, entre appartenance et liberté.

Directeur adjoint de l’Institut libéral, Nicolas Jutzet est rédacteur au Regard Libre.

Vous venez de lire un article tiré de notre édition papier (Le Regard Libre N°121).

Jean-Claude Kaufmann
L’uniforme scolaire
Armand Colin
Août 2025
208 pages

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