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L’Ouzbékistan7 minutes de lecture

par Baptiste Michellod
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Le Regard Libre N° 33 – Baptiste Michellod

Samarcande, Bukhara, Merv, Balkh. Autant de noms dont la simple évocation a le don de faire voyager celui qui les lit. Ces lieux, qui font actuellement partie de l’Ouzbekistan, du Turkménistan et de l’Afghanistan, nous les regrouperons sous le nom de Transoxiane. Transoxiane fait référence à toutes les terres au-delà du fleuve Oxus, nom antique de l’Amou Darya. Le territoire s’est successivement situé aux confins des empires perses, helléniques, arabes puis russes. Même la lointaine Chine convoita la Transoxiane, tentant de s’en emparer au VIIIe siècle de notre ère, peu après les conquêtes arabes. La bataille de Talas, remportée par les Arabes en 751, mit un terme à l’expansion chinoise vers l’Ouest tout comme aux conquêtes arabes vers l’Orient, et tourna définitivement l’Asie Centrale vers le monde islamique.

Aujourd’hui à très forte majorité musulmane, la Transoxiane est aussi habitée par des communautés chrétiennes et juives. D’abord terre des confins, la Transoxiane est devenue terre d’échange lors de l’essor des routes commerciales qui se développent très tôt entre l’Inde, la Chine et le monde méditerranéen. De plus, le pays est parsemé de reliques grecques, zoroastriennes, bouddhistes et hindoues. Maintes civilisations s’y sont mutuellement influencées.

Ainsi, en arrivant du monde indien par les routes commerciales, le bouddhisme s’implante dans la région, et se mélange à la culture grecque. Selon certains historiens, c’est en s’inspirant des représentation helléniques d’Apollon que les bouddhistes ont commencé à représenter le Buddha sous forme de statue. Grâce aux échanges commerciaux, le bouddhisme ainsi transfiguré prend la route de l’Extrême-Orient.

Comme ce rapide exposé le montre, la Transoxiane s’apparente à un espace de contact entre les grandes civilisations eurasiatiques. Cependant, il est aussi intéressant de la représenter au centre de cet espace infini. Quelle perspective peut-on projeter depuis la Transoxiane vers les mondes méditerranéens et asiatiques ? Avant de poursuivre ce propos, il est nécessaire de se représenter cette région somme toute peu connue.

Tracez sur le sable deux courbes irrégulières, courant de l’Est vers l’Ouest : ce sont les deux grands fleuves centre-asiatiques, l’Amou Darya (ou Oxus) au Sud et le Syr Darya au Nord. Erigez la chaîne montagneuse du Pamir à la source de ces deux courants, et creusez le sable à l’Ouest pour y former la mer d’Aral. Créez çà et là quelques dunes pour donner du relief au désert Kyzl Koum (littéralement « sable rouge »), qui s’étale dans l’Ouest de la région jusqu’à la mer d’Aral. Ajoutez finalement de la verdure tout au long de l’Amou Darya et du Syr Darya, et vous aurez ainsi une représentation simplifiée de la Transoxiane.

Cet écrin d’oasis, véritable Mésopotamie centre-asiatique, est le berceau de sociétés sédentaires millénaires. A l’Est, les sommets du Tian Chan et du Pamir séparent, du haut de leur 7000 mètres, l’Asie Centrale du monde chinois. Ces obstacles naturels ont été bravés par des marchands il y a plus de trois millénaires déjà, comme l’attestent plusieurs sites archéologiques.

A la frontière Nord s’étale la steppe kazakhe, qui se prolonge jusqu’au cercle polaire. Les grands envahisseurs mongols déferlèrent sur l’Europe à travers ces plaines, qui furent ironiquement le pâturage des premiers chevaux dressés par l’homme. Les plaines désertiques du Sud-Ouest sont hantées par de belliqueuses tribus nomades. En poussant plus loin à l’Ouest, les plateaux font place à la mer Caspienne, qui marque la frontière physique entre l’Europe et l’Asie. Si vous observez sur une carte le territoire que je vous ai décrit, vous constaterez qu’il s’agit d’un espace vaste que l’on a tendance à sous-estimer.

Bordés par des déserts arides, des montagnes inhospitalières et des steppes habitées par de terribles tribus nomades, les habitants de la Transoxiane se sont rapidement regroupés dans des enceintes fortifiées pour résister aux envahisseurs. Tandis que la rudesse de l’environnement encourage une urbanisation précoce, la situation géographique favorise la création de routes marchandes entre les mondes indiens, chinois et persans.

Durant mon périple de cet été en Asie Centrale, j’ai visité trois étapes majeures des routes commerciales eurasiennes : Samarcande, Boukhara et Khiva. Toutes trois méritent un bref récit.

Samarcande, qui a fêté récemment ses 2700 ans, est l’une des villes pouvant rivaliser en âge avec Rome. Cette cité a constitué, du fait de sa position centrale, une étape immanquable des routes commerciales. Elle connaît un développement majeur durant l’antiquité et le début de l’époque islamique, avant d’être réduite en cendre comme toutes les villes de la région durant l’invasion mongole. Telle le phénix, Samarcande renaît de ses cendres au XIVe siècle, sous le règne de l’impitoyable Tamerlan.

Tamerlan, ou Amir Timur en langue ouzbèke (littéralement « le seigneur d’airain ») , est le fondateur de l’Empire Timouride. Il naît en 1336 dans l’actuel Ouzbékistan. Après avoir mis sous son joug les tribus voisines, Tamerlan passe une grande partie de sa vie sur les champs de bataille. Il remporte des victoires notoires à Bagdad, Kerbala, Ankara, Ephèse, et se taille ainsi un empire à cheval entre l’Asie et l’Europe. Il pousse également ses conquêtes dans le monde indien, et s’empare de Delhi en 1389. Il extermine presque systématiquement les civils, et déporte les savants et les artisans à sa capitale, Sarmakand.

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Mosquée Bibi Khanoum, Samarcande

De fabuleuses richesses sont assemblées dans cette ville qui représente le cœur de son empire. Samarkand devient un centre culturel et artistique incontournable. S’il est cruel avec les peuples conquis, Tamerlan se révèle être également un mécène très généreux. Les splendides écoles coraniques et mosquées bâties sous son règne en témoignent. Tamerlan décède finalement en chemin pour la conquête de la Chine.

Ulugh Beg, quant à lui, est l’un des petit-fils de Tamerlan. Bien que promis à une carrière guerrière, le jeune Ulugh Beg se désintéresse bien vite des affaires militaires, et se consacre à la science, notamment l’astronomie. Il devient un mécène des sciences, et invite à sa cour les savants les plus renommés du monde islamique. Ulugh Beg est connu pour ses recherches avant-gardistes en astronomie. Il bâtit un observatoire astronomique muni d’un sextant de plus de cinquante mètres de long, grâce auquel il enregistre la position de plusieurs milliers d’étoiles. Son intérêt pour la science lui vaut cependant des ennemis parmi les religieux. Quelques années après la mort de son grand-père Tamerlan, Ulugh Beg est assassiné par son propre fils, à la tête d’une conjuration religieuse. Sa mort, si elle marque le début d’une période obscurantiste dans la région, n’a pas pu empêcher la propagation de ses écrits qui contribuent à l’âge d’or des sciences islamiques du Moyen Âge. Poursuivons notre périple sur la Route de la Soie, en direction de Boukhara.

Boukhara est non seulement une étape commerciale majeure, mais également un centre religieux et scientifique de renom. La ville est connue pour ses 365 mosquées et ses nombreuses écoles coraniques. Elle est en outre le lieu de naissance du grand savant Avicenne. A la fin du premier millénaire, Boukhara devient la capitale de l’empire Samanide. Sa réputation a atteint un tel niveau au XIe siècle qu’elle devient un lieu de pèlerinage. On considérait alors que deux pèlerinages à Boukhara valaient à un pèlerinage à la Mecque.

Bazar de Boukhara

Bazar de Boukhara

Tout comme Samarcande, Boukhara est dévastée par les troupes de Gengis Khan. Le conquérant se livre au pillage et à la destruction presque complète de la ville. Seul le minaret Kalon est épargnée par Gengis Khan. Homme des steppes peu versé dans l’architecture, le guerrier aurait été subjugué par la verticalité de l’édifice (qui s’élève à 48 mètres). Ce lieu devint un lieu d’exécution et la pratique perdura jusqu’au début du XXe siècle. Malgré sa sombre histoire, le minaret Kalon est resté un symbole emblématique de la ville de Boukhara. Suite à la visite de cette ville légendaire, je me rendis à travers le désert Kyzyl Koum jusqu’à une dernière étape, la ville de Khiva.

Khiva aurait été bâtie par le fils de Noé, qui aurait trouvé un puits au milieu du désert. La ville-oasis constituait le dernier arrêt nécessaire pour les caravanes venues d’Orient à travers le désert de Kyzyl Koum. Malgré son statut périphérique, la ville de Khiva a donné naissance à un savant de renom, Al-Kharizmi, auquel on doit entre autres les termes « algorithme » et « algèbre ». Du point de vue architectural, Khiva représente une unité inégalée dans toute l’Asie Centrale. Le coeur de la ville, l’« Itchan Kala », est un complexe historique entouré de plusieurs kilomètres de muraille. Les bâtiments à l’intérieur ont été parfaitement conservés et présentent une unité tout à fait remarquable. Le visiteur qui quitte les quelques quartiers touristiques et déambule dans ses ruelles en pisé se retrouve bien vite perdu à travers les siècles.

Ce bref exposé m’a été inspiré par mon récent voyage en Asie Centrale. Mon but – j’espère qu’il a été compris – n’était pas de vouloir réécrire l’histoire en faisant de cette région le noyau des civilisations eurasiatiques. J’ai voulu démontrer que ces terres, dont on parle si peu dans nos cours d’histoire ou de géographie, sont imprégnées d’une histoire millénaire et qu’elles revêtent une importance capitale dans les échanges culturels entre les civilisations et dans les découvertes scientifiques médiévales. Bien que les procédures d’obtention de visa soient toujours compliquées pour rentrer en Ouzbékistan, je ne peux que vous conseiller ce pays où tant d’empires et de civilisations se sont entremêlés durant l’histoire.

Ecrire à l’auteur : Baptiste.Michellod@etu.unige.ch

Crédits photos : Baptiste Michellod

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