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L’interprétation artistique, nouvelle victime de l’époque4 minutes de lecture

par Jonas Follonier
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Le Regard Libre N° 73Jonas Follonier

Trois actualités illustrent tout le mal que peut faire le délire identitaire actuel non seulement aux débats de société, mais aussi à l’art et à la culture. Bref rappel de la première actualité. Le 20 janvier 2021, lors de l’investiture de Joe Biden comme nouveau président des Etats-Unis, la poétesse Amanda Gorman, 22 ans, a récité une œuvre de son cru qui a suscité autant d’émotion que d’articles de presse. Dans ce poème intitulé The Hill We Climb appelant à la réconciliation au sein de la population américaine, la jeune artiste s’est définie comme une «maigre fille noire, descendante d’esclaves et élevée par une mère célibataire» – une mise en lumière de sa condition faisant écho au mouvement de contestation Black Lives Matter. Dès le 21 janvier, les maisons d’édition du monde entier se sont lancées à la recherche des meilleurs talents pour traduire le poème.

Voilà qu’aux Pays-Bas, l’activiste Janice Deul a écrit dans une tribune que le choix de Marieke Lucas Rijneveld, jeune et brillante auteure, pour réaliser la version néerlandaise du poème d’Amanda Gorman était une «occasion manquée»: il eût mieux fallu opter pour une jeune traductrice noire. La raison? «Les mérites et les qualités des Noirs ne sont évalués que de façon sporadique, voire pas du tout. Quant aux femmes noires, elles sont systématiquement marginalisées.» Ce qu’il est intéressant de noter, c’est que le choix de Marieke Lucas Rijneveld avait déjà été salué par Amanda Gorman non seulement pour son génie, mais aussi parce qu’elle représente la défense des minorités sexuelles et qu’elle se définit comme non-binaire (ni homme ni femme). Personnellement, je ne connais qu’une seule entité pertinente, la plus petite et noble «minorité» qui soit: l’individu, qui partage avec ses semblables sa nature humaine. Mais passons…

Trois jours après la publication de la tribune de Janice Deul, le traducteur a annoncé qu’il se retirait. La polémique a pris au niveau mondial. Le traducteur catalan Victor Obiols a ensuite été informé que son éditeur le virait. La maison d’édition a déclaré qu’elle cherchait un autre profil: «Une femme, jeune, activiste et de préférence noire» (sic!).

Au-delà du fait que classer les gens par leur couleur de peau équivaut à du racisme, cette manière de choisir des traducteurs selon leur origine et d’autres caractéristiques que le mérite (jeunesse, activisme) atteste d’une mécompréhension totale de ce qu’est la traduction, à savoir se glisser dans la peau et l’esprit de l’autre tout en n’étant pas cet autre. Ne serait-ce qu’en raison de sa langue maternelle…

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La deuxième actualité est la vidéo humoristique de la comédienne romande Claude-Inga Barbey, publiée par Le Temps, qui a été jugée transphobe par certains collectifs LGBT. On confond là – sciemment ou pas, dans les deux cas c’est affolant – une actrice avec ses personnages (une psy et une trans), pour lesquelles elle a de la tendresse par ailleurs, et ça se voit…

Enfin, l’affligeante 46e soirée des Césars le 12 mars dernier, lors de laquelle l’actrice Corinne Masiero s’est entièrement dénudée en guise de soutien aux intermittents, recouverte de peinture rouge sang, signe là aussi la fin du métier d’acteur à l’abri de l’air du temps. Il faut désormais affirmer son individualité, adopter un discours victimaire et pleurnichard, si possible au milieu d’un entre-soi excluant. Etre un artiste, justement, ne serait-ce pas plutôt multiplier les mondes?

Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com

Crédit photo: Wikimedia CC 2.0

A lire également dans ce numéro à ce sujet: la tribune de Max Lobe et le contre-éditorial de Diana-Alice Ramsauer et Indra Crittin

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