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Le paradoxe du charbon et de la transition énergétique5 minutes de lecture

par Clément Guntern
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Le Regard Libre N° 48 – Clément Guntern

Après les manifestations estudiantines pour le climat en début d’année et l’apparition de la jeune suédoise Greta Thunberg comme icône, l’impatience dans la lutte climatique se fait sentir. En même temps, le monde n’a jamais autant souffert de son addiction au charbon.

En effet, les efforts à consentir pour que l’accroissement des températures mondiales ne dépasse pas deux degrés sont aussi énormes que l’urgence de la menace. L’exaspération est d’autant plus compréhensible lorsqu’on observe l’évolution de la consommation de charbon au niveau mondial. D’un côté, on tente de promouvoir les énergies renouvelables et, de l’autre, on persiste dans l’utilisation ou la construction de centrales à charbon. Cette énergie fossile semble, à tort, dater d’un autre âge pour un observateur européen, alors qu’elle a le vent en poupe particulièrement dans certains pays asiatiques. Le charbon est le symbole de ce qu’il ne faut pas faire dans la lutte contre le réchauffement climatique; il représente 45% du carbone émis dans le monde et sa consommation, soit 7’500 millions de tonnes en 2017, repart à la hausse.

Les atouts du charbon

Ce sont les pays du sud-est asiatique qui sont aujourd’hui concernés par l’accroissement de la consommation de charbon. Ce sont eux qui construisent le plus de centrales. De son côté, la Chine essaie d’assumer le rôle de défenseur de l’environnement en tentant de «rétablir le ciel bleu». En effet, environ 500’000 décès par année seraient imputables à la production d’énergie avec du charbon en Chine. La pollution de l’air dans les métropoles asiatiques est similaire à celle de Londres au XIXe siècle. Cette constatation, conjuguée à la montée d’une classe moyenne de plus en plus demandeuse de bonnes conditions de vie, a poussé les autorités à ralentir la consommation de charbon. Ainsi, on a pu croire que le pays allait abandonner le charbon. Or, il n’en est rien, car la croissance se poursuit, mais à un rythme moindre, et la Chine représente toujours la moitié de la consommation mondiale annuelle.

Un autre facteur de l’attrait toujours persistant du charbon, mis à part son coût, est sa facilité d’utilisation. C’est une technique qui a fait ses preuves. Et pour cause, elle a été conçue pour la production d’électricité et utilisée dans de nombreux pays afin de nourrir la croissance économique. Ce modèle de développement basé sur la production de carbone pour créer de la richesse a très bien fonctionné mais a engagé une forte détérioration de l’environnement. Il serait facile de mettre en balance les méchants asiatiques pollueurs contre les vertueux occidentaux.

Pourtant, en Europe, la situation est contrastée sur le front du charbon. Certes, la moitié des pays vont sortir de cette énergie très polluante, mais un quart discutent encore de cette opportunité tandis que le quart restant est constitué d’irréductibles comme la Pologne qui refusent toute discussion. L’exemple allemand est édifiant. La République Fédérale d’Allemagne compte à elle seule le tiers des capacités européennes, et cette tradition du charbon se perpétue depuis la réunification. En même temps, Berlin s’est lancé dans une sortie du nucléaire, ce qui ne manque pas d’offrir un paradoxe entre volonté de renouvelable et perpétuation de l’industrie du charbon. En Suisse aussi, le peuple a accepté la sortie du nucléaire; lors de la campagne on redoutait que la part du nucléaire ne soit reprise par des énergies fossiles.

Une superposition, pas une transition

Fin janvier dernier, une commission en Allemagne a rendu un rapport très attendu sur la sortie du charbon. Celle-ci a programmé une transition avec comme objectif le zéro charbon en 2035 ou 2038. Mais est-ce si paradoxal de devoir faire coexister un temps une source d’énergie très polluante avec du renouvelable? En réalité, non. Nous nous faisons tout simplement une fausse idée de l’histoire des techniques, et singulièrement de l’énergie. En réalité, le charbon n’a pas joué un rôle central dans la révolution industrielle avant la fin du XIXe siècle en Europe.

La révolution n’en a pas été une dans ce cas, car elle s’est faite surtout à base d’énergies renouvelables comme l’hydraulique et ce n’est que progressivement que le charbon a pris sa place comme élément incontournable. L’histoire de l’énergie consiste plutôt en une superposition des moyens durant une longue transition. Le bois, l’hydraulique et le charbon ont coexisté pendant longtemps avant que ce dernier ne les supplante. Ce ne sont pas des phases bien délimitées, ce qui explique la difficulté à engager notre transition énergétique et la survie du charbon dans de nombreux pays du monde. 

De plus, les exemples de reconversions des bassins charbonniers ont rarement été couronnés de succès. Malgré des efforts de valorisation des anciens sites industriels, ces régions, dans tous les pays d’Europe, possèdent les données socio-économiques les plus mauvaises de leurs pays respectifs. Ainsi, en Allemagne, le taux de chômage est deux fois plus élevé dans ces bassins charbonniers que dans le reste du pays. La difficulté est d’autant plus grande lorsque le choix de l’énergie se couple avec des raisons géopolitiques. Ce fut le cas lors du passage progressif au pétrole. Le charbon était à l’époque moins cher que le pétrole, et il le reste aujourd’hui, mais comme le secteur minier en Europe et aux Etats-Unis est devenu très syndiqué et porteur de nombreuses revendications, le pétrole a permis aux dirigeants de contourner ce facteur social.

L’équation impossible

Dans l’histoire moderne, il existe très peu d’exemples de baisses rapides des émissions de CO2 comparables dans son ampleur à ce que nous devons réaliser pour atteindre l’objectif des deux degrés de réchauffement maximal. Nous pouvons citer l’Allemagne après le Seconde Guerre mondiale ainsi que la Corée du Nord et Cuba après l’effondrement de l’URSS qui ne leur vendait plus de pétrole à bas coût. Ce sont trois exemples de diminution drastique mais non souhaitable. Cela n’a pas consisté en une diminution mais une amputation de la production de CO2. Et c’est ce que nous devrons maîtriser avant 2050. A condition bien sûr que de nouvelles inventions ne viennent pas jouer un rôle inattendu et salvateur.

La transition énergétique est un chantier d’une ampleur sans précédant et sa réalisation n’a jamais été aussi urgente. Il faut espérer que les énergies renouvelables puissent remplacer en masse les énergies fossiles. Mais le problème est simple: nous n’avons jamais pu effectuer une telle baisse sans déperdition de richesses. Si nous ne voulons pas un retour en arrière comme certains le suggèrent, il faudra investir une énergie sans commune mesure pour faire sortir le monde des énergies fossiles. Et particulièrement du charbon.

Ecrire à l’auteur: clement.guntern@leregardlibre.com

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