Jonas Follonier, Quentin Perissinotto, Diana-Alice Ramsauer et Anaïs Sierro
Vous non plus, vous n’avez pas vu passer 2021 malgré le caractère répétitif des mesures, réouvertures et autres refermetures qui rythmaient notre peau dure? Voici de quoi vous rattraper, avant ou après 2022, avec cinq livres qui ont marqué notre rédaction cette année… et, soyons fous, qui ont marqué l’année tout court.
1. Gianfranco Calligarich, Le dernier été en ville (Gallimard)
Roman culte enfin traduit en français, il raconte l’arrivée à Rome d’un jeune Milanais, venu essayer de faire carrière dans le journalisme. On le suit dans ses déambulations nocturnes, flottant dans la ville comme un éther, ses rêves de gloire s’évanouissant à la vapeur du petit matin. Et lorsque les désillusions drapent le quotidien, il ne reste plus que l’amour pour tout dynamiter. Il apparaît alors sous les traits évanescents d’Arianna, une jeune femme aussi exubérante que fragile. Ce roman a l’élégance désinvolte des silhouettes vêtues de lin, flânant le long des bords de mer; il est la politesse du désespoir, la douceur des négations radicales. Il est surtout la cuite romanesque de 2021.
2. Ahmet Atlan, Madame Hayat (Actes Sud)
Fazıl, jeune étudiant, voit sa vie bouleversée lorsque sa famille se retrouve ruinée: «un grand pays [a] décrété l’arrêt de l’importation de tomates». Il quitte son appartement privilégié et prend une chambre dans quelque auberge où se réunit toute une partie des marginaux de la société: un «poète », de potentiels mafieux, un transsexuel… Pour gagner de l’argent, le jeune lettreux se met à exercer une activité de figuration dans une émission télé où de jeunes femmes chantent devant un public payé pour taper des mains, donner de la voix et se dandiner en rythme. C’est là qu’il rencontre les deux femmes qui vont le pousser à voir le monde tel qu’il est. Deux femmes pour raconter l’évolution et la prise de conscience de Fazıl dans un pays qui se ferme petit à petit sur lui-même. Car au contraire du héros, toujours plus libre et vivant, la Turquie, elle, glisse, presque dans l’indifférence, dans une dictature. Accusé d’avoir participé au coup d’Etat échoué de 2016, l’auteur a écrit ce livre en prison. Ce qui donne au récit une saveur encore plus politique.
A lire aussi | Devenir libre en Turquie, par amour pour Madame Vie
3. William Sheller, William (Editions des Equateurs)
Une plume bouleversante et porteuse d’un sarcasme british, autant que le prénom ayant donné son titre à ce livre. Des clés pour comprendre son œuvre, les notes et les mots qui la composent – «jardin», «enfant», «orgueilleuses», «heureux». Et le récit à fleur de peau d’un homme qui ne fait l’impasse sur rien – ses souffrances familiales, sa bisexualité complexe, ses errances cocaïnées – pour déboucher sur le début de la fin… de la chanson. Qui sait ce que nous réserve celui qui a déclaré dans nos colonnes: «On vient au monde en étant aveugle, puis on commence à comprendre que papa c’est celui avec les moustaches, maman celle avec les cheveux longs, et ensuite il faut meubler cette existence…».
4. André Manoukian, Sur les Routes de la Musique (Harper Collins)
Les notes bercent nos souvenirs et 2021 (même si l’on voudrait l’oublier) n’a pas dérogé à la règle. C’est pour cette raison que Sur les Routes de la Musique du pianiste et jazzman André Manoukian est ravissant. Tout l’univers de ce passionné un peu loufoque se trouve dans ce recueil de chroniques: comment repenser la musique ou la penser tout court? On y trouve des anecdotes historiques, mais aussi théoriques, sur la musique, ses influences et ses «pratiquants». Toujours avec une touche d’humour, de sensualité et d’absurde. Un voyage musical et fantaisiste qui nous autorise à jouer avec les codes musicaux pour y percevoir une sensibilité autre. D’ailleurs, n’est-ce pas cela, la musique?
5. Pablo Martìn Sànchez, L’anarchiste qui s’appelait comme moi (Editions Zulma & La Contre Allée)
Cela se lit comme une sorte de livre d’histoire. Sauf qu’on ne s’ennuie pas. On débute avec l’auteur, qui déprime. Il n’arrive pas à se faire éditer «[rejetant] la faute de son échec à un patronyme trop commun». Il tape alors son nom sur Google et se rend compte qu’il a une multitude d’homonymes. L’un d’eux est un gars né à la fin du XIXe siècle. Ce Pablo Martìn Sànchez est un anarchiste qui a participé en 1924 à une expédition révolutionnaire pour tenter de renverser la dictature espagnole. L’auteur décide d’écrire son histoire. Voilà pour la trame narrative. Mais la richesse de l’ouvrage, c’est surtout cette plongée dans le monde anarchiste parisien et international du début du XXe siècle. Une aventure de tripes, de cœur et d’idéaux.
Ecrire à la rédaction: redaction@leregardlibre.com
Vous venez de lire un article en libre accès. Débats, analyses, actualités culturelles: abonnez-vous à notre média de réflexion pour nous soutenir et avoir accès à tous nos contenus!
Gianfranco Calligarich
Le dernier été en ville
Trad. de Laura Brignon
Gallimard
2021
212 pages
Ahmet Atlan
Madame Hayat
Trad. de Julien Lapeyre de Cabanes
Actes Sud
2021
272 pages
William Sheller
William
Editions des Equateurs
2021
489 pages
André Manoukian
Sur les routes de la musique
Harper Collins
2021
192 pages
Pablo Martìn Sànchez
L’anarchiste qui s’appelait comme moi
Trad. de Jean-Marie Saint-Lu
Editions Zulma & La Contre Allée
2021
604 pages