Le Peuple paraît en Suisse romande dès cette semaine sous la forme d’un bimensuel papier et d’un site internet. D’après son rédacteur en chef Raphaël Pomey, qui déplore un manque de diversité dans le monde médiatique romand, ce nouveau média donnera la parole à des personnes aux sensibilités peu entendues aujourd’hui. Le Regard Libre salue l’arrivée d’un nouvel acteur sur la scène journalistique romande et figure d’ailleurs parmi les quatre premiers partenaires du Peuple. Place à la conversation.
Le Regard Libre: Pourquoi fonder un nouveau média aujourd’hui?
Raphaël Pomey: Dans mon parcours de journaliste classique (d’abord au Matin Bleu, qui ensuite a fusionné avec 20 Minutes, puis au Matin), j’ai toujours eu de bons rédacteurs en chef qui m’ont permis de traiter les sujets que j’ai aujourd’hui envie de traiter avec Le Peuple. Néanmoins, ma sensibilité n’a jamais été dominante dans les médias pour lesquels j’ai travaillé, et elle ne l’est pas dans les médias en général. J’ai été journaliste pendant une dizaine d’années, puis je suis passé dans le domaine de la communication, comme porte-parole de la police de Lausanne pendant trois ans et demi. Ensuite, j’ai voulu revenir à mon métier de journaliste, mais j’ai découvert que pour être parfaitement libre, il fallait créer quelque chose de A à Z, puisque la diversité manque cruellement dans le milieu de la presse.
Quelle place voulez-vous occuper dans le paysage médiatique romand?
Il y a chez nous une grande offre médiatique qui traite l’actualité, mais bien souvent avec une approche éditorialisante. Au Peuple, mon associé Jérôme Burgener et moi voulions d’abord un média qui puisse réagir très rapidement sur l’information. Nous avons bien sûr du contenu éditorialisant (c’est ce que j’aime faire à titre personnel), mais l’information est le cœur de notre journal. C’est ce qui nous distingue d’un titre comme La Nation – très intéressant, au passage – qui fait principalement de l’opinion. Ses contributeurs eux-mêmes ne se présentent pas comme journalistes. En ce qui nous concerne, nous voulons apporter l’expérience des médias classiques dans un cadre qui ne soit pas sous-tendu par défaut par des idéaux politiques qui ne sont pas les nôtres.
Pourquoi dès lors ce nom «Le Peuple»? N’est-ce pas une notion très marquée politiquement?
Il faut dire que pour les gens de gauche, «le peuple» évoque l’extrême droite quand pour les gens de droite, «le peuple» sonne communiste. J’ajouterais à ce contraste une variante supplémentaire: la Constitution suisse, qui commence par «Au nom de Dieu Tout-Puissant! Le peuple…». L’idée est de dire que le peuple n’appartient à personne, mais aussi qu’il existe, tout simplement, puisque beaucoup de personnes pensent qu’il s’agit aujourd’hui d’une notion inopérante. J’aime cette notion, parce que je défends un journalisme qui est ouvert sur le monde, mais aussi enraciné. Un journalisme qui est l’expression de la sensibilité d’un bout de pays, en l’occurrence le pays romand.
Venons-en justement à cette question de sensibilité. Vous parlez d’information, mais votre manifeste contient des prises de position assez connotées politiquement. Par exemple, la défense d’une «vision traditionnelle du bien commun» et la reconnaissance de «l’héritage judéo-chrétien de notre civilisation». Comment concilier cette orientation avec un journalisme non-éditorialisant, selon votre mot?
Nous voulons des contenus non-éditorialisants, mais tout de même clairement délimités. Nous avons simplement le sentiment que faits et commentaires sont souvent mélangés. A titre d’exemple, j’écoutais la semaine dernière un débat à la RTS sur l’avortement aux Etats-Unis dans lequel les quatre intervenants présents avaient la même position. Même s’il n’y a pas de commentaires du journaliste, la mise en scène est déjà un commentaire en soi. Il ne s’agit pas de s’interdire de faire de l’édito: l’édito est en première page chez nous et nous avons des contenus spécifiquement éditorialisant. Seulement, quand il s’agit d’information, les articles doivent être réalisés de manière froide et rigoureuse.
Dans le fond, vous êtes quand même plus de droite que de gauche?
Euh… oui. (Rires) Il y a dès le début une tension dans ce projet entre un certain conservatisme qui parfois trouve un terrain commun avec la gauche, et un aspect libéral qui en matière économique est plutôt associé au centre droit. Ce qui fait que nous ne sommes pas un journal libertarien, c’est que nous défendons un héritage culturel bien précis, une vision traditionnelle du bien commun – nous considérons par exemple qu’il faut protéger la famille face à certaines menaces. Et ce qui fait que nous ne sommes pas des conservateurs de gauche, c’est que nous ancrons ces idées dans une défense de l’individu libre, une liberté d’expression que nous voulons quasi-totale, une liberté d’entreprendre, etc.
Votre libéralisme est donc plus un cadre général propice au développement d’autres idées qu’une idéologie libérale au sens fort du terme?
A titre personnel, je me reconnais largement dans l’héritage tocquevillien (ndlr: selon la Revue des deux Mondes, Le Regard Libre se situe lui aussi dans une veine libérale «tocquevillienne»). Il y a chez Tocqueville le constat que le monde est passé à autre chose, qu’il n’y a plus beaucoup de sens à espérer la restauration de la monarchie par exemple. Néanmoins, il a une certaine inquiétude vis-à-vis de certaines dérives de la démocratie telle qu’il l’a vue aux Etats-Unis. Je pense qu’à certains égards nous sommes entrés dans ces dérives, qui doivent être combattues, au moins tempérées.
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Un exemple?
Je pense que certaines expérimentations sociétales n’ont pas leur place à l’école, comme les questions qui concernent la théorie du genre. Dans le canton de Vaud, l’an dernier, on a eu une conférence de presse où, en clair, on nous disait que les enfants pouvaient choisir librement leur genre, et qu’ils devaient pouvoir exprimer leur identité de genre si elle changeait chaque jour. De façon générale, on a l’impression que l’éducation est devenue un champ d’expérimentation. Ce n’est pas ce que j’attends d’un service public. Dans la mesure où il y a un monopole étatique sur l’école, on devrait inviter ces gens à une plus grande discrétion. Ou alors qu’on fasse cela à l’école publique et qu’on nous donne les mêmes moyens financiers pour mettre nos enfants dans des écoles privées.
Sur votre site, vous déclarez aussi que les collaborateurs à l’initiative de votre nouveau média sont issus «de sensibilités chrétiennes diverses». Quelle est la part confessionnelle de votre journal?
Notre journal émane de personnes qui se reconnaissent dans un héritage chrétien, héritage que nous tenons pour fécond et qui nourrit certains de nos idéaux. Cela dit, nous ne sommes pas un club de chrétiens. Au début, nous étions trois catholiques et un protestant; les choses sont beaucoup plus panachées aujourd’hui. Ce qui nous unit néanmoins, c’est un refus du masochisme culturel. Nous sommes heureux de vivre où nous vivons, fiers de la richesse de notre tradition. En fait, la défense d’un héritage chrétien est le dénominateur commun des contributeurs du journal.
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Quels sont vos buts à court et long terme avec Le Peuple?
Jusqu’à maintenant, il nous a fallu mettre en place une ligne éditoriale et une ligne graphique. Mais nous voulons vraiment aller plus loin. Tout d’abord, créer une société dans les deux mois, puisqu’aujourd’hui nous ne sommes encore qu’une association. Puis, développer des formats vidéo, avec des finances plus importantes que nous espérons à court terme. Le but: être en mesure de rebondir très rapidement sur l’actualité en faisant des débats chez nous, des directs sur YouTube par exemple, en ayant peut-être notre propre plateau. Tout cela en publiant bien évidemment notre bimensuel tout au long de l’année.
Pour conclure, parlons un peu de vous. Vous avez publié en 2020 un essai intitulé Danser l’effondrement – Les églises à l’ère du cool, une critique de l’attitude de certaines institutions chrétiennes qui, pour paraître «cool», reprennent les codes de la communication en trahissant parfois l’essence de leur vrai message. Vu votre profil, vous devez être un grand lecteur. Quels auteurs vous inspirent et pourquoi?
La liste pourrait être longue. Chesterton, par exemple, m’a beaucoup influencé pour sa joie de vivre et sa défense de l’incarnation. Ersnt Jünger a été une révélation pour sa défense d’un certain individualisme et de formes d’anarchisme conservateur. Nicolás Gómez Dávila me plaît pour une certaine esthétique de l’existence. Enfin, j’aime beaucoup Bernanos pour sa défense radicale de la liberté, mais aussi sa critique de la modernité, qu’il partage avec Charles Péguy, que j’admire aussi.
Ecrire à l’auteur: antoine.bernhard@leregardlibre.com
Crédit photo: © Patrick Gilliéron Lopreno
1 commentaire
Eh ben…. Va pas faire long feu ce truc. Pas étonnant venant d’une personne issue du Matin Bleu, 20 minutes et LeMatin.ch, les médias les plus bas de gamme en Suisse romande. Allez, on lance les paris, 1, 2 peut-être 3 ans avant sa disparition?