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«Miss Islande», une lave intime prête à l’éruption5 minutes de lecture

par Diana-Alice Ramsauer
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Le volcan Hekla, entouré d’un champ et d’une clôture © Sverrir Thorolfsson

Cet ouvrage aurait dû s’appeler La Poétesse et non Miss Islande. Mais c’est bien là le cœur du propos. Dans cette Islande des sixties, l’héroïne veut devenir écrivaine. Et pourtant, son être est systématiquement réduit à son corps. Un roman doucement combattif.

Elle porte le nom d’un volcan, l’héroïne: Hekla. Lave qui bouillonne dans cette Islande des années soixante. L’une des montagnes les plus actives de l’île. Lorsque la jeune femme part pour Reykjavik, depuis sa petite ferme, c’est avec une idée claire en tête: gagner un peu d’argent, écrire et rejoindre le Mokka, le quartier général des poètes de la capitale.

Elle a une vingtaine d’années et pour se faire un petit pactole, on lui propose rapidement de tenter l’aventure en tant que Miss Islande. Il faut dire qu’Hekla semble briller par sa beauté. Mais elle refuse. Elle déniche alors facilement un emploi en tant que serveuse à l’hôtel Borg. Là encore, elle doit faire face à l’objectivation sexuelle de son être. 

«Vous devriez remonter un peu votre jupe, c’est un péché de cacher de si jolis genoux. Il faut savoir mettre ses atouts en valeur, crie [un client] dans mon dos.»

Un marin féru de mode

Après le travail, elle écrit sur sa Remington. Elle habite d’abord chez son ami d’enfance David Jòn John Johnsson. Un curieux jeune homme, homosexuel, avide de liberté, passionné de stylisme et périodiquement enfermé sur un bateau pendant plusieurs jours lors des campagnes de pêches. Ils se comprennent, tous deux engoncés dans des rôles qui restreignent leurs ambitions: lui dans la mode, elle dans l’écriture. Si DJ Johnsson souffre particulièrement de sa situation et des moqueries qui vont avec, Hekla semble, elle, avoir admis les codes, tout en réussissant à s’en détacher suffisamment pour tracer sa route sans déranger.

C’est comme ça qu’elle rencontre un homme. Un bibliothécaire. Un poète. Starkadur participe aux assemblées des jeunesses socialistes, essaie d’écrire (n’y arrive pas vraiment) et considère Hekla comme la serveuse la plus lettrée de la région. Ils décident d’habiter ensemble. Pourtant, durant les mois qu’ils se côtoient, Starkadur ignore qu’Hekla écrit – et qu’elle est même publiée (sous pseudonyme). Hekla n’ose pas le lui dire. Et lui ne pose pas la question. 

Sexiste avant l’invention du terme

Sans penser à mal, le jeune homme enchaîne les gestes que l’on considérerait comme sexistes, aujourd’hui. Alors qu’il se rend régulièrement dans le quartier Mokka, il n’imagine pas qu’Hekla pourrait aimer y boire un verre, arguant d’ailleurs que les petites copines ne viennent jamais. Il préfère lui offrir l’ouvrage J’apprends à cuisiner de la directrice de l’Ecole ménagère d’Islande, alors qu’il sait bien qu’Hekla aime la littérature des poétesses et la philosophie des auteures telles que Simone de Beauvoir.

Impossible d’oublier de citer également la meilleure amie de l’héroïne: Ísley. Une jeune maman, tombée enceinte très rapidement. Trop? Du moins, sa vie de famille est désormais au centre de ses préoccupations. Et entre deux, elle écrit. Un journal, des histoires farfelues et les mots qui ne sont jamais prononcés dans son couple. Elle non plus n’en parle pas à son mari. Elle garde ses peurs pour elles et ses cauchemars la rattrapent: ceux représentants d’autres grossesses et d’autres enfants.

«C’est tellement prenant d’être seule avec un enfant, Hekla. Nous sommes ensemble toute la semaine, nuit et jour, pendant que Lýdur travaille sur des chantiers routiers dans l’Est. Je n’imaginais pas à quel point c’était merveilleux d’être mère. Avoir un enfant est ce qui m’est arrivé de plus beau. Je suis tellement heureuse. Je ne manque absolument de rien. Tes lettres m’ont maintenue en vie. Je me sens tellement seule.»

La lave sous la glace

Si les exemples empilés dans ce court papier pourraient donner une image caricaturale du propos développé par Auður Ava Ólafsdóttir dans Miss Islande, ce n’est pourtant pas le cas. Bien au contraire. Les situations sont décrites avec une sorte de détachement, comme si l’on observait les actions avec un pas de recul, sans être impliqués. Les tout petits chapitres de ce livre – allant de une à trois pages – permettent de changer rapidement de lieu et de perspective sans donner d’explications larmoyantes. Presque une écriture un peu froide.

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Hekla avance d’ailleurs sans lever son poing. Elle ne se plaint pas. Elle ne s’énerve pas. Elle ne revendique rien. Elle reste à sa place. Elle pose simplement ses limites et définit son objectif: écrire. En somme, c’est la trajectoire d’un féminisme individuel. Une lave intime prête à jaillir alors qu’au centre de l’Europe continentale, les pays amorcent un grand mouvement de libération collective.

Ecrire à l’auteur: diana-alice.ramsauer@leregardlibre.com

Illustration de couverture: Le volcan Hekla, entouré d’un champ et d’une clôture © Sverrir Thorolfsson

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Auður Ava Ólafsdóttir
Miss Islande
Traduction d’Eric Boury
Zulma, coll. Za poche
Octobre 2022 [2018]
224 pages

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