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Littérature

Critique

Avec Quentin Mouron, la mort ne s’influence pas5 minutes de lecture

par Quentin Perissinotto
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Quentin Mouron signe «La dernière chambre du Grand Hôtel Abîme». Photo: Quentin Perissinotto pour Le Regard Libre

Après s’être aventuré en poésie et avoir publié un essai (consacré à Jean Lorrain), Quentin Mouron a renoué avec ses amours romanesques grâce à La dernière chambre du Grand Hôtel Abîme. Des retrouvailles en dents de scie.

Pour un autre avis sur son livre, on se référera à la reprise de l’article de Jean-Louis Kuffer dans notre précédente édition.

Le livre débute comme un polar: Sixtine, une jeune femme en vacances à Venise, est découverte morte, gisant au bord de la piscine de son hôtel de luxe. Mais aussitôt le premier chapitre passé, Quentin Mouron délaisse l’enquête pour la psychologie et ses coulisses, remontant les existences de quatre personnages gravitant autour de Sixtine. C’est ainsi qu’émergent d’entre les pages Sam, l’influenceur genevois accro à la coke, Hugo, le journaliste lifestyle et culinaire, Rocco, l’influenceur fitness masculiniste et Lola, l’historienne d’art, avec en commun leurs blessures narcissiques et leurs traumas romantiques. L’auteur vaudois entrecroise les destinées et entremêle les passés, pour faire converger les errances et ainsi esquisser le coupable de l’histoire: la perdition totale des âmes solitaires. 

Un panaché tiède et expéditif

Avec La dernière chambre du Grand Hôtel Abîme, Quentin Mouron s’empare du vertige des réseaux sociaux, de leur influence néfaste et de leur aspect faussement lisse, pour mieux craqueler ce vernis toxique. Mais voilà, on se retrouve avec dans les mains un énième roman qui cherche à dévoiler la part sombre de ces nouveaux médias (citons par exemple Les enfants sont des rois de Delphine de Vigan, Instagrammable d’Eliette Abécassis, L’Influenceur de Patrick Bauwen, Emirage d’Emma Férey ou J’aime de Camille Yolaine), donnant l’impression que la littérature s’est trouvé une victime de choix en la personne des influenceurs. Malgré une réelle volonté de renouveler le traitement de ce sujet et de prendre le contrepied d’autres romanciers, Quentin Mouron n’évite malheureusement pas les écueils de la caricature. 

Depuis ses débuts, l’auteur canado-suisse se distingue par son style caustique et ironique. Mais tandis que dans La Combustion humaine (roman pamphlétaire sur le monde littéraire romand publié en 2013) il utilisait son sarcasme pour tourner en dérision l’éminence d’une société, l’écrivain tombe ici dans la facilité en choisissant une cible déjà brocardée de toutes parts, à savoir les influenceurs. L’intention de départ est intelligente: écrire à partir d’un sujet et non sur celui-ci. Pour cela, il entremêle les formes et glisse de la prose au vers et du vers au dialogue théâtral, afin de ne pas enfermer sa thématique et ses personnages. Chaque chapitre sonne ainsi différemment et fait résonner les subjectivités. Toutefois, passée la curiosité initiale, l’alternance de styles empêtre la narration et lui donne un caractère brouillon. Le lecteur est projeté d’une scène à l’autre, il voit les flashs se succéder et la lecture s’apparente à un brusque réveil après un rêve. On peine à empoigner l’histoire et on la laisse filer au loin, distraitement, sans parvenir à se départir de ce sentiment de hâte et de fugacité.

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L’autre versant caractéristique de cette écriture, c’est son jeu avec les clichés. Il les collectionne et s’amuse à les adjoindre comme un puzzle pour les détourner. Et il emmène le lecteur dans son sillage, à rire en cachette, comme lors de ce passage où un influenceur fitness cite Andrew Tate avant de fantasmer de lire Sylvain Tesson en amoureux dans une yourte. Mais à force d’en disséminer toutes les deux pages, la narration vire au kitsch et le roman au galvaudage littéraire. 

Le même bémol revient avec les aphorismes second degré: censés dynamiter le texte et lui faire prendre un tournant plus mordant, ils tombent à plat à être surutilisés. Des saillies comme «Avant il y avait des femmes. Maintenant il n’y a que des putes.» pourraient être drôles à condition de dissoner. Or, tout le récit piétine dans ce faux rythme refusant la prétention intellectuelle et garde le propos en surface.

Faire culture et faire millénial

Tout le problème de La dernière chambre se situe là: dans sa constante surdose. Quentin Mouron veut parler d’une époque, ancrer son histoire dans son temps et il distille ainsi par-delà les pages des éléments représentatifs de la société actuelle: les vidéos TikTok de Claude Luisier, un live Twitch consacré à Greta Thunberg, le mouvement #MeToo, les entrecôtes de David Marchais, Roméo et Juliette incarnés par des acteurs transsexuels, les soifs de justices épanchées, un matcha. Quitte à forcer un peu pour que tout rentre dans le cadre, avec la désagréable impression de lire une parodie de littérature. Car à trop vouloir dire la couleur d’une époque, on laisse la peinture déborder et tacher les doigts.

La dernière chambre du Grand Hôtel Abîme referme sa porte en laissant une étrange sensation de tragi-comique désarticulé.

Ecrire à l’auteur: quentin.perissinotto@leregardlibre.com

Vous venez de lire une critique en libre accès publiée dans notre édition papier (Le Regard Libre N°109). Débats, analyses, actualités culturelles: abonnez-vous à notre média de réflexion pour nous soutenir et avoir accès à tous nos contenus!

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