Le libéralisme ne prétend pas tout dire. Il ne répond qu’à la question de l’organisation politique de la société, qui doit reposer sur le respect des libertés négatives. Cela n’empêche nullement une conception positive et complémentaire de la liberté.
Avec notre dossier de ce mois, nous espérons dissiper quelques malentendus au sujet du libéralisme. Un en particulier entoure l’adjectif «néolibéral». On l’utilise au mieux pour dénigrer des idées simplement libérales au sens classique du terme (sans doute parce que trop de libéraux ont semé le doute en s’éloignant de leur propre famille), au pire pour critiquer des mesures qui n’ont pourtant rien de libéral et qui en sont même la traduction inverse, comme le fait pour l’Etat de venir au secours d’entreprises en faillite – par exemple des banques…
On trouve cependant un usage plus convaincant de ce terme, dans un sens plus descriptif et non pas nécessairement diffamant. Si on le prend au mot, «néolibéralisme», comme le suggère son préfixe (qu’il a en commun avec néoféminisme, ou néonazisme), désigne une «nouvelle vague de libéralisme». Tel que le définissait par exemple Daniel Schulthess, professeur émérite d’histoire de la philosophie à l’Université de Neuchâtel, dans Le Regard Libre N° 82, le concept renvoie à une généralisation de la logique de marché: toute l’économie devrait fonctionner selon la main invisible théorisée par le philosophe écossais Adam Smith au XVIIIe siècle – d’où la mondialisation et la financiarisation de l’économie – et toute la réalité humaine serait réductible à l’économie.
Comme le montre Daniel Schulthess dans cet article, Adam Smith lui-même n’opère pas cette généralisation. Et ni Smith ni aucun autre libéral ne conçoit l’homme comme un être seulement caractérisé par la poursuite rationnelle de son intérêt égoïste (comme dans le cas du marché).
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La question est plutôt de savoir si tout libéral pense que la politique doit mettre en place quelque chose de plus que le marché – au hasard, un Etat. La plupart des libéraux pensent que oui, des minarchistes – libertariens qui jugent tout de même légitime l’existence d’un Etat minimal pour assurer la protection des libertés – aux ordolibéraux – qui pensent que l’Etat doit aussi assurer les conditions cadre de l’économie, en luttant contre les monopoles et les cartels par exemple. Les libéraux qui tiennent tout pouvoir public pour illégitime – les anarchocapitalistes – sont rares. Quand on parle des «néolibéraux», peut-être a-t-on souvent ces auteurs en tête, comme Murray Rothbard. Ou alors des personnalités également intéressantes comme Milton Friedman, qui, quoique tolérant l’existence d’un Etat, recommandait qu’il se retirât dans toute une série de domaines, de l’émission de billets à l’imposition de l’héritage, pour des raisons à la fois morales et d’efficacité.
Le libéralisme se résume facilement. Il s’agit d’une tradition intellectuelle, déclinée sur le plan philosophique, politique et économique, qui postule l’inviolabilité des libertés individuelles – de conscience, d’expression, d’association ou encore d’entreprise. L’individu est propriétaire de ses libertés et peut donc en jouir à condition de ne pas empiéter sur celles d’autrui. La façon dont ce principe de non-agression se manifeste concrètement dans des cas complexes comme le marché du travail, la pollution, etc., fait bien sûr l’objet de débats.
Contrairement au socialisme ou au fascisme, le libéralisme n’offre pas de programme pour les individus, ni pour la société. Il pose simplement un cadre à respecter afin de rendre possible la cohabitation pacifique, mais aussi la création de richesses ou la recherche de la vérité. Ce cadre est avant tout assuré par le droit. En démocratie, les libéraux ont souligné l’importance des contre-pouvoirs, de l’éducation ou encore des corps intermédiaires.
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Nécessaire, cette vision est-elle pour autant suffisante? Pour les règles politiques, peut-être, mais pour le reste, non. Le libéralisme ne prétend pas tout dire. Il ne répond qu’à la question de l’organisation de la société, qui doit reposer sur l’universalité des droits naturels de l’être humain, compris comme des droits négatifs. Cela n’empêche nullement une conception positive et complémentaire de la liberté, comme le soutient Pascal Couchepin dans sa dernière chronique. La liberté est tournée vers le bien, mais ce bien reste à déterminer. L’éthique de vie, comme la philosophie en général, doit faire l’objet d’un débat, seul garant d’un progrès individuel et collectif. C’est en croyant trouver des certitudes en la matière et en voulant les imposer que l’on recrée un malentendu. Au risque d’engendrer le mal tout court.
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