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Philosophie

Compte rendu

Comment concilier libéralisme et éducation, d’après Olivier Massin4 minutes de lecture

par Jonas Follonier
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Olivier Massin à la Journée libérale romande 2023

Samedi, à la Journée libérale romande co-organisée par Le Regard Libre, le directeur de l’Institut de philosophie de l’Université de Neuchâtel Olivier Massin a montré quel type de libéralisme il est sage de défendre si l’on tient à l’idée d’éducation. Saisissant.

Il vaut la peine de poser les problèmes en toute clarté et sans ambages pour pouvoir progresser dans la pensée. Celui posé samedi par le directeur de l’Institut de philosophie à l’Université Neuchâtel Olivier Massin, à l’occasion de la Journée libérale romande*, est le suivant: libéralisme et éducation semblent incompatibles. En effet, si l’on suppose que le libéralisme s’oppose à tout paternalisme (défini comme l’attitude consistant à restreindre la liberté d’autrui) et qu’on part du principe que toute éducation implique un certain paternalisme, un libéral ne peut pas accepter en toute cohérence l’idée même d’éducation. «En bon philosophe, on sait qu’il n’y a pas trente-six mille façons d’éviter une conclusion, a relevé Olivier Massin à Lausanne. Soit l’on rejette la première prémisse, soit la seconde.» Toute la conférence du professeur a alors consisté à se demander quelle prémisse il était possible de rejeter.

La première tentative que l’orateur a présentée revient à contester la seconde prémisse: non, l’éducation n’implique aucun paternalisme. Ou, formulé plus humblement, il est possible d’éduquer sans paternalisme, c’est-à-dire sans qu’il y ait de contrainte sur ceux qu’on éduque, ceux qui éduquent ou encore ceux qui paient ceux qui éduquent. Cette vision-là, qu’on peut faire remonter à Rousseau, suppose l’idée d’une éducation libertaire, où l’enfant est grosso modo laissé lui-même. Or, il paraît insensé de concevoir une quelconque éducation où il n’y aurait aucune contrainte: observer simplement un enfant gambader où bon lui semble et manger les fleurs qu’il veut, est-ce encore éduquer? Non. La réponse libertaire paraît donc cacher un paternalisme doux, qui nous oblige à revenir à la prémisse selon laquelle éduquer implique un certain paternalisme.

Distinguer enfants et adultes

Une solution plus raisonnable serait de revoir la première prémisse (il ne faut pas être paternaliste). Massin a proposé de la reformuler comme suit: il ne faut pas être paternaliste envers les adultes non consentants. La conclusion devient qu’il ne faut pas éduquer les adultes non consentants. Cette piste a l’avantage de permettre l’éducation des enfants et celle des adultes qui, en signant un contrat, acceptent certaines contraintes – typiquement en s’inscrivant à l’université. On est justifié à soutenir cette nouvelle prémisse en considérant – comme le faisait déjà Aristote – que l’enfant possède un statut moral et juridique flou. «Il se situe entre la pierre et la personne, a lancé l’intervenant avec un brin de provocation. En tout cas, il n’a pas la responsabilité d’un adulte, qui possède des droits que l’enfant ne possède pas. Et il détient un droit que l’adulte ne détient pas, une sorte de droit à être éduqué

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Qui est alors en charge d’éduquer les enfants? L’Etat? On peut d’abord plutôt penser aux parents. Leur responsabilité d’éduquer découle de leur choix d’avoir fait des enfants. Mais quid des enfants dont les parents ne peuvent pas les éduquer – parce qu’ils sont morts, absents, physiquement ou mentalement restreints? Une réponse possible est qu’il y a des situations tragiques et que l’existence de situations tragiques ne nous oblige en rien. L’autre réponse, c’est qu’il paraît acceptable de contraindre tous les individus à payer pour le prix de cette éducation, puis de laisser cette éducation être dispensée par des personnes ainsi payées.

Vers un libéralisme empiriste, conservateur

Le libéral est précisément méfiant à ce sujet, a rappelé Olivier Massin: il est conscient de toutes les dérives potentielles quand on laisse cet argent dans les mains de quelques-uns. C’est ici que le libéral doit choisir son camp – et c’est ici que l’exposé de l’universitaire a le plus séduit l’assistance. Massin a en effet objecté que lorsque le système d’éducation publique fonctionne bien, il ne paraît pas raisonnable de le changer. Il s’agit d’un argument typiquement conservateur, parce qu’il ne se base plus seulement sur le principe, mais s’appuie sur la valeur de solutions existantes.

Hume avait pointé la nécessité de concilier les deux théories attribuées à Locke, dont il était un élève: le libéralisme et l’empirisme. Le libéral empiriste ne déduit pas seulement des principes des droits naturels, de manière purement formelle, mais prend en compte l’existant, l’état du monde. Ses idées sont certes valables universellement, mais pro tanto («toutes choses étant égales par ailleurs»). En cela, les libéraux empiristes (Smith, Tocqueville, Hayek…) dont Massin montre l’intérêt se distinguent des libéraux rationalistes (Locke, Bastiat, Rothbard…) et se rapprochent des conservateurs (Hume, Burke, Scruton…).

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Reste à préciser avec Mill que l’on peut contraindre l’éducation, mais pas son contenu. Les exemples d’absurdité étatique sont actuellement légion. On pourrait néanmoins se mettre au moins d’accord sur certaines prestations indispensables, quelle que soit l’école. D’après le professeur, il n’est pas absurde de se dire qu’une éducation subventionnée devrait nécessairement comprendre l’apprentissage de l’écriture, de la lecture et des calculs, ainsi que la transmission de savoirs locaux, à commencer par la langue du pays. Elle devrait en outre respecter et véhiculer certaines valeurs, telles que la liberté d’expression, l’égalité des droits et le pluralisme. Voilà un beau programme libéral-conservateur, qui s’appliquerait également au médias! Merci, Olivier. Et que la réflexion continue.

*La Journée libérale romande 2023 «Formation et liberté: les défis contemporains» a été organisée par l’Institut libéral, le Cercle démocratique et Le Regard Libre.

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