Les mercredis du cinéma – Danilo Heyer
Arrivé à ce stade de l’aventure Star Wars, après la postlogie, les spin-off et la fin de la deuxième saison du Mandalorien, il n’est peut-être pas inutile de tourner sur ses talons et de porter le regard sur une époque où Disney n’avait pas encore la franchise sous son emprise. Soit sur le dernier épisode de la prélogie, l’épisode III: La Revanche des Sith (2005) signé George Lucas.
L’épisode IV (1977) se déroulait dans une galaxie dominée par un empire tyrannique et le côté obscur de la Force. La prélogie tenta donc d’exposer la façon dont les choses avaient pu si mal tourner. Après deux opus d’exposition à la qualité plutôt douteuse, Lucas réalisa le tour de force de proposer une conclusion des plus réussie dans un film bien plus abouti qu’il ne peut paraître au premier visionnage. Pour ce faire, Lucas assuma enfin pleinement l’essence tragique de la surprenante histoire qu’il avait à raconter. Les gags enfantins, la romance d’adolescents et les multiples changements de ton que l’on pouvait apercevoir dans les deux premier opus laissent enfin place à une œuvre très sombre qui, avec beaucoup de subtilité, arrive à peindre de manière convaincante la mort d’une société et la naissance d’un méchant.
Une galaxie et un héros à la dérive
«La chute du juste et sa honte font plaisir», peut-on lire dans Les Frères Karamazov; c’est sans doute que le juste soit rare, et que son écroulement vienne toujours de lui-même. La Revanche des Sith appliqua cette idée en cela qu’elle fit porter la responsabilité du désastre à ses héros; Palpatine, seigneur Sith et futur Empereur – le méchant du film – s’en tient au rôle d’habile tentateur, comme le diable dans Faust. La ruine se joue sur plusieurs tableaux. En arrière-plan, une République galactique à bout de souffle, qui révèle le principal défaut des systèmes démocratiques; à savoir, tendre à l’anarchie. Embourbée dans la lenteur du débat public et du compromis, ainsi qu’établie dans les deux films précédents, elle se voit incapable de résoudre un conflit interne de nature commerciale, ni d’empêcher qu’il se mue en une effroyable guerre civile entre séparatistes et fidèles à la République. Pacifiste, elle faisait reposer son existence sur des défenseurs de la paix – l’ordre religieux des Jedi. Désarmée au moment fatidique, elle doit s’en remettre à une armée de mercenaires (l’armée des clones) dont les origines troubles auraient dû l’avertir de l’éventualité qu’elle se retourne contre elle. Afin de gagner la guerre, elle accorde de plus en plus de pouvoir au chancelier Palpatine qui en profite pour la transformer en Empire galactique.
Au second, un ordre Jedi dogmatique et aveuglé qui s’accroche à ses principes millénaires autant qu’au dernier pouvoir qui lui reste. Passéiste, il est incapable d’apprécier à temps le danger qui le menace. En espionnant le chancelier, puis en essayant de l’arrêter, ses tardives tentatives de reprendre l’initiative lui font perdre toute légitimité, de telle sorte que Palpatine pourra, devant le Sénat, les déclarer ennemis publics. Dans le monde nouveau «fondé sur l’ordre et la sécurité» – un Empereur et une armée forte – il n’y a de toute façon pas d’espace pour ce doublon sécuritaire à la démographie famélique.
Finalement, au centre du drame, on retrouve Anakin Skywalker, le futur Dark Vador. D’abord dans le camp des Jedi et de la République, il finit par les trahir tous deux et bascule du côté obscur. A qui la faute? Le premier coupable est cette volonté forte, ambitieuse et impulsive, qui refuse de quitter les gens auxquels elle s’attache; elle poussera Anakin à essayer par tous les moyens de sauver Padmé, la femme qu’il a épousée en secret et dont il voit la mort dans ses rêves, quitte à devoir plonger la galaxie dans le chaos. Talentueux mais orgueilleux, Anakin n’a rien qui le destine à vivre comme un Jedi, c’est-à-dire comme une sorte de moine ascète, à qui l’on dit de cultiver le détachement et de privilégier la raison sur les passions. Les Jedi l’ont d’ailleurs remarqué. C’est pour cela qu’ils se méfient de lui, comme lorsqu’ils refusent de lui accorder le rang de Maître. Anakin, impatient, ne peut concevoir ces façons pour autre chose qu’une humiliation. Cette incompatibilité fondamentale produit tout le ressentiment dont Palpatine a besoin pour l’éloigner d’eux.
Un final éblouissant
Le film alterne sans trop d’encombre entre scènes d’action à ciel ouvert et séquences plus intimistes où Lucas tente de nous plonger dans le dilemme intérieur qui assaille Anakin. Dans les premières, on retiendra notamment la bataille spatiale et le superbe plan-séquence qui ouvre le film durant lequel on arrive aisément à suivre les vaisseaux d’Anakin et d’Obi-Wan, malgré la grande confusion qui règne alentour. Le long duel de fin entre ces deux anciens amis force aussi l’admiration quand on se rend compte de l’incroyable travail mis pour donner vie à la planète de lave où il se déroule, de l’exceptionnelle rapidité avec laquelle les coups de sabre laser sont échangés, de même que de la complexité de la chorégraphie.
Dans les secondes, deux séquences en particulier étonnent par la puissance des émotions et la richesse des idées qu’elles évoquent. Tout d’abord, celle de l’opéra, où Palpatine déroule devant Anakin son discours tentateur, au milieu d’un spectacle visuel très original. Ensuite, cette autre où Padmé et lui échangent un regard sans pour autant s’apercevoir. Le visage tous deux baignés par les mêmes dernières lueurs du jour, mais déjà séparés par des plans de la ville de Coruscant, il ne faut qu’une larme sur la joue d’Anakin pour comprendre qu’il va trahir les siens et se jeter dans les bras du diable. Dans ces moments, la somptueuse partition de John Williams et le génie visuel d’un Lucas qui, enfin, maîtrise les images de synthèses, élèvent l’histoire jusqu’au sublime. Entre le film d’auteur et le blockbuster, La Revanche des Sith possède toutes les qualités pour demeurer une œuvre originale qui, comme tout Star Wars, divisa et continuera de diviser critiques et fans.
Ecrire à l’auteur: danilo.heyer@leregardlibre.com