Les mercredis du cinéma – Jordi Gabioud
Cette aventure de l’homme-araignée a été vendue comme un cocktail d’hommages et de personnages idéal pour nous enivrer de nostalgie. Le rendez-vous s’avère manqué: ce nouvel affrontement devient vite un gênant mélange entre un freak show et un jeu Pokémon.
L’homme-araignée a des ennuis! Son dernier adversaire est mort en martyre, concluant un film plutôt sympathique en plaçant les rails de nouvelles thématiques: la responsabilité, la vérité à l’ère du numérique, la construction de la figure héroïque. Mais c’est sans compter que dans cet univers, n’importe quel enjeu peut être évacué d’un coup de baguette magique. C’est donc chez son ami le magicien Doctor Strange que notre héros se rendra pour faire oublier au monde son identité. Malheur! Le bon docteur ouvre par mégarde le multivers, attirant ainsi cinq nouveaux adversaires qui devront être au plus vite renvoyés chez eux. Exit la mise en place de l’opus précédent; ici, on trempe dans le même bain tiède dont on a pas changé l’eau depuis l’arrivée des comics : les obligations morales du bien contre le mal.
Un film au service du marketing
Spider-Man: No Way Home est un divertissement qui manque de saveurs. Les idées de mise en scène sont trop rares pour un tel budget et chaque décor semble avoir été réduit à son strict minimum: aucun éclairage n’est véritablement personnalisé, aucun espace de combat n’a visiblement été pensé pour élaborer une réelle chorégraphie… En tant qu’œuvre filmique, Spider-Man: No Way Home se contente de réussir la plupart de ses effets spéciaux et d’exploiter quelques bons visuels au service de sa bande-annonce. On peut aussi saluer un saut malheureusement trop court dans une sorte de dimension alternative contrôlée par Doctor Strange, rare moment où le film joue enfin avec ses espaces et ses possibilités numériques.
Le véritable problème est sans doute que ce type de commentaires insatisfaits sont habituels à la saga. Son modèle sériel s’étendant de plus en plus l’oblige à procéder à une fuite en avant se concentrant sur la surenchère de personnages et de grand spectacle. Avec ce nouveau film, un nouveau tournant est abordé: le grand spectacle de la campagne marketing devient plus important que la qualité du produit. Avec ce Spider-Man, ce processus a été savamment calculé: teasers, interviews, vidéos d’influenceurs, louanges des acteurs, affiches à trous, chaque nouveau commentaire devait être relayé sur les réseaux, chaque indice distillé était mis en lumière et partagé par les fans et, surtout, un culte du «no spoil» qui avait déjà fait le succès de Psycho il y a une cinquantaine d’années à une époque où déjà la critique se montrait, elle, bien plus mitigée. Bien évidemment, le «no spoil» n’est pas érigé pour défendre un quelconque effet de surprise, mais pour intriguer le spectateur et le pousser à consommer au plus vite le produit afin d’appartenir à la communauté des gens qui savent, eux.
Avec leur dimension sérielle, les films de super-héros ont vu l’aspect marketing contaminer jusqu’à leur contenu. Les traditionnelles scènes post-génériques en sont le meilleur exemple. Cependant, cette surenchère constante pour alimenter le marketing, cette philosophie du toujours plus commence à s’essouffler. Bonne nouvelle, la figure du héros aura alors enfin l’occasion de renouveler sa forme comme son fond, et les efforts se concentreront enfin plus sur le produit que sur son pendant marketing. En attendant, Spider-Man: No Way Home représente une douloureuse quintessence de cette logique mercantile où le film permet de vendre une bande-annonce et plus l’inverse.
Le retour des spectacles de monstres
En réunissant à nouveau des personnages et acteurs qui ont ponctué la saga sur déjà sept longs métrages, on devait s’attendre à des ambitions à la hauteur des prétentions d’un tel chantier! Le film prend l’étrange parti de poursuivre la construction de son héros en lui faisant vivre ses premiers drames. Ceux-ci devront être héroïquement surmontés grâce à l’immaculé pouvoir des valeurs humanistes. Chaque personnage n’est finalement qu’un outil au service de la construction d’un parcours initiatique que l’on a arpenté déjà bien trop souvent. Ici, le scénario se résume à une capture des différents ennemis de l’homme-araignée pour littéralement – et je n’exagère rien – les «soigner» d’un coup de seringue en injectant une dose de gentil dans les méchants.
Les héros ont perdu le goût du meurtre, c’est tout à leur honneur. Batman arrête inlassablement les mêmes adversaires, leur laissant entre deux confrontations le temps à chaque fois de nouvelles victimes. Cette posture a déjà fait couler l’encre de bien des réflexions. Spider-Man, lui, franchit un cap et va plus loin en mettant au cœur de son enjeu la volonté de soigner ses ennemis. Il pourrait les tuer à tout instant en appuyant sur un simple bouton (magique lui aussi), mais le héros s’en abstient. Le film pourrait alors porter avec lui un discours sur la justice réhabilitative où chaque ennemi, censé plus ou moins mourir une fois renvoyé dans son univers, se voit offrir une seconde chance par Spider-Man qui aura purgé leur bile noire et leur mauvais esprit. Ce choix entérine les valeurs humanistes de notre héros, construites en opposition au Docteur Strange, plus pragmatique, qui cherche à renvoyer ces monstres dans leurs mondes et à y assumer les conséquences de leurs actes.
Malheureusement, dans les deux cas, les antagonistes sont les grands perdants: trop nombreux pour être développés, on s’en remet à ces seringues miracles. Cette simplicité criminelle nie alors toute personnalité, toute construction de ces personnages. La justice réhabilitative doit s’intéresser à la rédemption du coupable. Ici, cette justice n’est que l’outil de valorisation du juge miséricordieux qui l’applique.
Alors, les ennemis de Spider-Man, si puissants au cœur du processus marketing, paraissent bien pauvres au sein du film. Les diables sont condamnés à se distinguer seulement par leurs anormalités physiques. Spider-Man: No Way Home devient ainsi un freak -show particulièrement dérangeant et cynique. On s’y rend pour y découvrir l’homme-sable, l’homme-lézard ou encore l’homme-pieuvre, ainsi que leurs difformités. On tombe des nues lorsqu’on retrouve ces monstres, après leurs captures, enfermés chacun dans sa cage vitrée dans une pièce circulaire nous donnant la possibilité de dévorer du regard leurs bizarreries. Et que dire de l’arrivée des deux précédents hommes-araignées, où tout ce qui leur sera demandé sera de «faire des trucs d’araignées» et les voir s’exécuter en marchant au plafond? Les personnages de Spider-Man: No Way Home ne sont que les «freaks» d’un cirque monstrueux orchestré par la Warner et Marvel. Et on se désole alors de voir une telle régression depuis 1932 où Tod Browning nous offrait un des plus beaux films de l’histoire du cinéma.
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