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Quand être un intellectuel conduit à la mort5 minutes de lecture

par Ivan Garcia
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Les bouquins du mardi – Ivan Garcia

Giacomo Papi décrit avec minutie les travers des populismes actuels dans Le recensement des intellos de gauche. Une fiction où se dégage l’importance des idées, pour le meilleur et pour le pire.

Qu’ont en commun l’ancien président des Etats-Unis Donald Trump, l’humoriste italien et fondateur du Mouvement 5 étoiles Beppe Grillo et le président ukrainien Volodymyr Zelensky? Tout d’abord, chacun d’entre eux a ses habitudes dans les médias et les réseaux sociaux, outils de communication privilégiés de notre temps. Ensuite, d’une manière ou d’une autre, tous font référence dans leurs discours à une entité appelée «le peuple» qu’il semble bien difficile de définir, tant les catégories le composant sont difficilement conciliables en un tout homogène. D’un côté, le peuple, son sens du travail, des traditions, de la nation… De l’autre, des intellectuels, déconnectés du réel, fainéants, haïsseurs du peuple et de ses traditions. C’est un cliché binaire qui est mis en avant dans ces lignes, mais un cliché qui a la peau dure et que l’on entend fréquemment, ici ou là dans les médias, les réseaux sociaux…

La haine des intellectuels

Si le populisme «2.0», né d’un rejet de la mondialisation et des élites, s’invite dans nos vies comme étant une nouvelle idéologie, alors le nouvel ouvrage de l’auteur italien Giacomo Papi, Le recensement des intellos de gauche, ne pouvait voir le jour qu’en Italie, pays précurseur de ces mouvements contemporains érigeant le peuple en étendard. Avec ce récit, l’écrivain livre une fable drôle qui restitue la rhétorique employée par différents leaders politiques pour séduire le peuple et museler la pensée, comme si les nations ne s’étaient construites exclusivement qu’à force de bras et non avec des idées.

L’histoire du roman, qui se déroule en Italie, débute par un événement insolite: l’assassinat d’un intellectuel, le professeur Prospero. Situons la chose. Au début du récit, un soir, lors d’un talk-show, le professeur d’université Giovanni Prospero tente de rehausser le débat en citant le philosophe Spinoza. Mal lui en a pris, car face à tant de savoir son interlocuteur, le Premier ministre, et le public ne peuvent que s’offusquer face à un «intello de gauche» qui fait de belles phrases et ne va pas bosser:

«Prospero tenta de s’excuser, de s’expliquer et de reformuler sa phrase dans les termes les plus simples possibles:
“Je voulais seulement souligner que sans l’effort de discuter, le peuple deviendra l’esclave du premier tyran venu.”
Malheureusement pour lui, il obtient le contraire de l’effet escompté: le public outragé se mit à frapper des pieds et à le huer.»

Un Premier ministre populiste

A la suite du meurtre du professeur, c’est sa fille, Olivia Prospero, pâtissière dans un grand hôtel londonien, qui débarque en Italie pour régler les formalités d’usage et s’immisce dans cette nouvelle société, façonnée par le «Premier ministre de l’Intérieur» (qui, comme son titre l’indique, a fusionné les deux charges en une seule), et en décrit les travers ne voyant pour quelles raisons, malgré leurs excentricités, les intellectuels «de gauche» dérangent.

L’histoire offre les points de vue d’Olivia, de différents intellos de gauche recensés au nouveau «Registre national des intellectuels de gauche», ainsi que le point de vue du «Premier ministre de l’Intérieur» qui, en public, détruit les intellectuels de bâbord et surfe sur sa vague anti-élite, et en privé se délecte au «cinéma d’art et d’essai» qu’il a lui-même contribué à interdire. La politique ubuesque de ce personnage met d’ailleurs en place la «Haute Autorité pour la simplification populaire de la langue italienne» visant à réduire le nombre de mots italiens présents dans le dictionnaire. Une politique digne de 1984 de George Orwell sous couvert d’anti-élitisme.

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Originalement titré «Il censimento dei radical chic», pour bien mettre en avant l’expression italienne «radical chic» désignant «les bourgeois qui affichent des idées de gauche» (Courrier international, 2018), le récit de Giacomo Papi est passionnant. L’auteur a su s’inspirer de la réalité et tendre un miroir déformant – sans trop grossir le trait – au lecteur pour que celui-ci puisse lire, avec un peu de recul, ces discours que l’on entend souvent dans les médias.

«L’idée d’instituer un Registre national des intellectuels de gauche plut pour ainsi dire à tout le monde. Le sondage télévisuel montra que les Oui l’emportaient par plus de quatre-vingt-sept pourcents des voix. La popularité du Premier ministre de l’Intérieur atteignit des cimes inédites dans un Etat occidental de tradition démocratique»

Ecrire à l’auteur: ivan.garcia@leregardlibre.com

Crédit Photo: © Photo de Count Chris provenant de Pexels

Giacomo Papi
Le recensement des intellos de gauche
Traduction de François Rosso
Grasset & Fasquelle
2021
229 pages

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