Un projet peu libéral pour une monnaie libérale.
Je ne peux guère cacher mon enthousiasme pour le bitcoin, vu mes nombreux articles, conférences et même mon livre. Pourtant, l’initiative populaire visant à intégrer ce cryptoactif dans les réserves de la Banque nationale suisse (BNS) ne m’emballe pas. Quelle mouche m’a donc piqué?
Laissons la BNS tranquille
La BNS a pour objectif la stabilité de la monnaie (garder le franc fort) et la stabilité de l’économie (garder les entreprises compétitives). Une mission plus proche du numéro de funambule que d’une méthode académique. Un franc trop fort renchérit les produits suisses, dégradant la compétitivité des entreprises.
Les pays industrialisés dévaluent sciemment leur monnaie pour rester compétitifs. Que cela passe par les taux de change, comme pour la Chine ou le Japon. Ou par les taux directeurs et «l’assouplissement quantitatif», comme pour la Réserve fédérale américaine (FED) ou la Banque centrale européenne (BCE).
Il est loin le temps où le PDG d’Airbus grognait contre un euro fort valant 1,36$ et réduisant la compétitivité du groupe face à Boieng. L’euro vaut 1$ aujourd’hui.
Dans ces conditions, que faire? Dévaluer le franc pour rester compétitif au risque de perdre la confiance dans le franc fort? Laisser le franc s’envoler au risque de plomber les exportations? La BNS a déjà une quadrature du cercle à résoudre. Pourquoi lui ajouter du bitcoin dans ses équations?
La BNS a déjà (un peu trop) le goût du risque
On pourrait être tenté de secouer la BNS pour la dépoussiérer. Ce n’est pas au vieux singe qu’on apprend la grimace. La Suisse détient la première banque centrale qui s’est détournée de l’or ou des obligations pour boursicoter au Nasdaq.
Loin de se contenter de titres stables, l’institut d’émission a misé sur des actions volatiles comme Tesla ou Nvidia, avec un certain succès.
A lire aussi | Les raisons de la montée du bitcoin au-delà de 100’000 dollars
Mieux? La BNS détient 466’000 actions de Microstrategy. Une entreprise connue pour accumuler des bitcoins dans son capital. L’entreprise détient 450’000 bitcoins, d’une valeur de 25,6 milliards de dollars. La BNS est donc exposée au bitcoin à hauteur de 60,5 millions de dollars par le biais de cette société américaine.
Ce n’est donc pas le bitcoin qui va troubler la BNS. Cette banque centrale est devenue un véritable hedge fund qui, pour l’heure, fait des merveilles. Cependant, je doute qu’UBS puisse la racheter le moment venu pour la sauver.
Séparer la monnaie du politique
Cette idée d’imposer des investissements à la BNS risque de faire des petits. Si la BNS doit investir dans le bitcoin, ne pourrait-elle pas investir dans les crédits carbone? Ou les énergies renouvelables? Ou «réduire des inégalités» en tout genre?
Inutile de se projeter dans une BNS redistributive, c’est déjà le cas. Elle doit partager ses excédents aux cantons actionnaires. Depuis, chaque canton espère tous les ans toujours plus d’argent magique tombé du ciel. Quitte à mettre leur budget dans le rouge lorsque l’argent magique est moindre.
A lire aussi | Le bitcoin convient à la Suisse
Essayons de ne pas aggraver cette situation où tout le monde attend déjà beaucoup de la BNS. Elle est là pour arbitrer entre un franc fort et une économie compétitive. Vouloir lui imposer le bitcoin risque d’ouvrir la boîte de pandore en la transformant un peu plus en une corne d’abondance hedge fund.
Développeur passionné par les technologies, François Jolain est l’animateur de la plateforme Codable.tv.