Chaque mois, retrouvez la chronique d’une des personnalités qui nous font le plaisir de prendre la plume en alternance. Le youtubeur Ralph Müller, doctorant en lettres à l’Université de Genève, livre son analyse cinglante d’un phénomène typique de l’époque.
A l’heure du like, les différences se sont trouvé un photographe: l’inclusivisme. Il a pris d’assaut la langue, qu’il trahit pour la bonne cause, mais il reluque bien au-delà et défend jusqu’à l’exclusion – pour la bonne cause toujours. Ce qu’il faut inclure, ce sont les attributs de tout un chacun, leurs infinies nuances hissées au rang d’état. L’autonomie, conquête des Lumières, se dégrade en égotisme. C’est le Je qui est Souverain, et il ne s’aliène à rien qui ne le regarde de près. Etre de raison? Non, d’abord un genre, une orientation sexuelle et une couleur de peau.
Pour inclure tout le monde, n’inclure personne
De l’esprit au corps et de l’accord au compromis. Dans une pure logique libérale, le politique doit réguler les intérêts individuels, favoriser l’épanouissement des particularités au prix même d’un cloisonnement de la vie collective. Ainsi, des identités au foisonnement exponentiel se découpent l’espace public. Le lundi, la soirée jeux de la ludothèque sera réservée aux hommes cisgenres, afin qu’elle puisse l’être aux personnes non-binaires le lendemain. S’il n’y a pas assez de jours dans la semaine pour l’agrément de chaque profil, nous devrons songer à en grossir le nombre.
Bref, ce projet est une impasse, et ce d’autant plus que la demande de reconnaissance entre en tension avec l’exigence d’égalité: la revendication d’une identité suppose qu’on lui prête une valeur, or les valeurs impliquent une hiérarchie. Le meilleur moyen d’inclure tout le monde, c’est de n’inclure personne en particulier. Là est tout l’intérêt de l’abstraction par laquelle on se distancie de soi pour s’envisager dans un mode d’être commun; et c’est pourquoi Habermas soutient que le vrai sujet politique n’est pas l’individu, toujours susceptible d’erreurs et de partis pris, mais l’individu en tant qu’il se reconnaît dans un Nous, façonné par l’échange où les croyances se subliment.
Un terreau de division
Il faut en outre soulever l’attache qui joint identité et rejet. La première se construit souvent par le second, et le sentiment identitaire du groupe est d’autant plus fort que celui-ci se constitue par opposition. Son prestige symbolique est fonction de la différence qu’il reconnaît entre lui et les autres, raison pour laquelle il a tout intérêt à la maintenir.
De ce fait, cautionner les dynamiques identitaires, c’est créer un terreau fertile à la division au sens le plus large et négatif du terme. Et faut-il rappeler aux organisateurs d’événements en «mixité choisie» que c’est justement dans le contact avec l’autre que s’émoussent les préjugés, lesquels macèrent dans l’entre-soi? Mais peut-être est-ce ce qu’on cherche, purifier son nid de l’encombrante altérité. Révélation de nos limites, la rencontre avec l’autre est pénible au narcissisme…
L’inclusivisme, c’est l’exclusion du commun, l’avènement de la foule et la négation du peuple. Il dessine un espace démocratique brisé, où l’on ne mêle pas les divergences dans l’espoir d’un consensus, mais où l’on cherche ses semblables pour se flatter de ses «différences». On est loin d’Hugo:
«J’allais errer tout seul parmi les riants groupes
Ne parlant à personne et pourtant calme et doux
Trouvant ainsi moyen d’être un et d’être tous»
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Portrait dessiné: © Nathanaël Schmid pour Le Regard Libre
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