Chaque mois, le youtubeur Ralph Müller livre son analyse cinglante d’un phénomène typique de l’époque. Ce mois-ci, il s’attaque aux incivilités survenues lors de la victoire du Paris Saint-Germain en Coupe d’Europe.
Vous avez sans doute vu passer les images sidérantes suite à la victoire du PSG en finale de la Ligue des Champions le 31 mai dernier. Le monde entier a pu assister à cette drôle de liesse, dont le spectre s’est étendu de l’euphorie au meurtre, en passant par l’incendie. Ce fut un rappel de ce que l’individu devient dans la foule: un être primitif et inquiétant, qui se sent exempt de toute responsabilité. Mû par la contagion affective, il résiste difficilement au plaisir de se livrer à ses pulsions, d’autant plus fortes que l’expression, d’habitude, lui fait défaut.
Nous avons eu l’aperçu d’un stade pré-civilisationnel. Une jeunesse livrée à l’état brut de ses pulsions, où l’agressivité intrinsèque de l’homme est tout entière dirigée vers l’extérieur. Chez Freud, l’accès à la civilisation – et la raison du malaise inhérent à celle-ci – suppose une sorte de courtoisie retorse par laquelle l’individu redirige contre lui-même l’animosité qu’il avait pour le dehors.
C’est un des enjeux de l’éducation et de l’apprentissage par l’enfant de la distinction entre bien et mal: en faisant l’épreuve de la punition qui consiste à voir l’amour de l’autre se retirer, l’enfant développe sa conscience morale et son Surmoi. A l’aune de ces hypothèses, on pourrait supposer que là où l’individu grandit sans limites et en prenant ses aises dans le monde sans le secours d’une verticalité, cette conscience morale ne peut que faire défaut et l’individu déverser sans scrupules son énergie la plus nocive.
Tel est le résultat d’un monde où le symbolique s’est amenui jusqu’à n’être plus que le signe de la matière. Une telle envie de détruire et de nuire doit témoigner d’un manque, d’un déficit de quelque chose d’essentiel. La dévaluation générale et à tous les niveaux du langage et de ce qu’il permet n’y est sans doute pas pour rien. Le vide fait de la destruction le seul langage possible. Pour certains, le dernier refuge du Sens réside dans l’acte par lequel ils vérifient leur existence. La voiture que je casse et la femme que j’effraie attestent que je suis bien là, que je suis bien en vie, que je peux, moi aussi, avoir de l’importance.
Il ne s’agit pas de justifier ces actes, mais de prendre leur brutalité pour le symptôme de quelque chose qui la dépasse. Ces scènes présupposent un néant qui a de quoi donner le vertige. Or, de ce néant est complice tout ce qui réduit la vie à une vulgaire succession d’expériences sans suite. Tout ce qui méprise la culture, le langage, l’esprit; la gratuité d’un projet collectif qui serait celui de la dignité.
Force est d’admettre que ce mépris n’est pas l’œuvre exclusive des jeunes qui en expriment les conséquences de façon spectaculaire. Ils sont d’une certaine manière le feu d’artifice de la médiocrité ambiante. Leur violence frappe parce qu’elle se donne sans fard, mais c’est la même qui sourd dans les replis d’à peu près tout ce qui fait la réalité contemporaine.
Dans l’infernale incohérence de notre univers saturé, il n’y a rien qui ne soit un peu solidaire de la violence qui trouve, comme en cette nuit du 31 mai, des occasions d’éclater. On ne peut accepter sans broncher au quotidien la folie et l’imbécilité, et s’étonner ensuite que ces deux engrais ne fassent pas des fleurs. Bien entendu, il y a d’autres causes et d’autres explications aux événements mentionnés, mais je crois qu’il n’y a effectivement qu’un pas du bruit des machines à celui des sirènes.
Le formateur Ralph Müller livre dans chaque numéro son analyse cinglante d’un phénomène de société. Retrouvez ses vidéos sur la chaîne YouTube «La Cartouche».