Chaque mois, notre critique littéraire s’attache à passer une œuvre au kaléidoscope, afin de récolter les images qu’elle projette et restituer leurs diffractions. Quitte à ce que les éclairs de génie s’avèrent des éclats de verre.
En hommage à Maïté qui nous a quittés dernièrement, je mets aujourd’hui une bonne grosse daube à l’honneur: Fourth Wing. Dans ce premier tome de la série The Empyrean (qui sort le mois prochain au format poche), on est enfermés à Basgiath, l’académie militaire où l’on forme l’élite de Navarre. Violet Sorrengail, frêle fille de la Générale, devait devenir scribe – sauf que maman en a décidé autrement: direction la section des dragonniers, là où la moindre faiblesse vaut une mort rapide.
Malgré ses os fragiles et un paquet d’ennemis, Violet survit à force d’intelligence, de sarcasme et de décisions suicidaires. Or sous les entraînements brutaux et les luttes de pouvoir, des secrets grondent. Le vrai ennemi n’est peut-être pas celui qu’on croit, et la guerre n’est qu’une façade. Violet devra choisir: obéir à l’ordre établi ou tout faire exploser. Voilà pour le décor et les enjeux qui, disons-le, paraissent tout à fait séduisants. Mais une séduction de boîte de nuit: aussitôt les lumières allumées, toute attraction s’estompe. Et il ne reste alors qu’un vague souvenir de dignité.
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J’ai acheté le livre en pensant que j’allais vraiment l’adorer, qu’il me rappellerait aux bons souvenirs d’Eragon, que ça ressemblerait un peu à La Passe-Miroir. Mais je n’avais jamais lu de romantasy (contraction de romance et fantasy). Et là est bien le problème: j’ai très vite compris qu’une romantasy est un roman écrit avec la plume trempée dans la cyprine. A chaque fois qu’un personnage masculin débarque, on décrit son torse musclé, sa mâchoire saillante et ses gros biceps: je ne savais plus si je lisais Fourth Wing ou le script d’un épisode de Johnny Bravo.
Rien ne va dans ce roman, tout est ridiculement cliché et ne tourne qu’autour de l’attirance interdite de Violet pour Xaden Riorson, le bad boy ténébreux et torturé (mais ça, c’est de ma faute, c’est visiblement le principe d’une romance), la construction du monde fantasy est totalement délaissée et l’intrigue politique qu’on me promettait se résumerait à un débat présidentiel sur «Touche pas à mon poste!».
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Mais alors, le clou du spectacle, c’est quand même le fameux smut (récits et descriptions érotiques), avec des scènes de sexe écrites intégralement avec les sous-titres des vidéos pornos d’AD Laurent. Mention spéciale à celle où l’on nous explique en long et en large comment le héros frotte le clitoris de sa partenaire. A tel point que je me suis vu devant Koh-Lanta, à regarder les aventuriers tenter de faire un feu.
Et en dehors de tout ça, l’écriture en elle-même est une véritable catastrophe, on croirait lire les confessions d’un cryptotrader des réseaux sociaux. Rebecca Yarros écrit comme on parle, sans retenue ni attention, et cela donne des dialogues pareils à du mauvais doublage de telenovela.
Que ce roman soit un succès phénoménal en France et partout ailleurs reste un mystère absolu pour moi. L’auteure nous promet sur la jaquette du livre que «Fourth Wing fera battre votre cœur du début à la fin». Notre pacemaker à la limite… S’il existe le prix Pulitzer, Fourth Wing est, lui, lauréat du prix Pfizer: ce roman est un vaccin contre la littérature.
Quentin Perissinotto est critique littéraire au Regard Libre.
Vous venez de lire une chronique en libre accès, tirée de notre édition papier (Le Regard Libre N°116). Débats, analyses, actualités culturelles: abonnez-vous à notre média de réflexion pour nous soutenir et avoir accès à tous nos contenus!

Rebecca Yarros
The Empyrean, Tome 1 : Fourth Wing
Ed. Hugo Roman
Février 2024
400 pages