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Littérature

Critique

«Le barman du Ritz», l’ambiguïté au fond du cocktail5 minutes de lecture

par Sofia Frosio
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Après avoir lu Le Barman du Ritz de Philippe Collin, passer devant cet hôtel parisien ne sera plus anodin. Car durant l’Occupation, Frank Meier, «meilleur barman au monde», servait sous les rires des nazis, dans un théâtre contrasté de champagne et de guerre.

Ce théâtre, c’est celui de l’hypocrisie des grands de ce monde. L’une des plus grandes tragédies du XXe siècle leur offre l’occasion d’abattre leurs meilleures cartes, dévoilant un jeu des plus tordu: masques, mensonges, voix basses et regards sournois dans les luxueux murs du Ritz. Gabrielle Chanel manigance avec les SS pendant que Sacha Guitry plaisante avec les généraux allemands ivres au vermouth. Drôle de spectacle qui se joue dans l’un des plus prestigieux hôtels du monde. Le Ritz et son bar, ce bar au décor fastueux, poreux aux complots et aux sourires hypocrites. Par chapitres datés, Philippe Collin nous dessine un monde déséquilibré et déstabilisant, qui se dévoile à travers les yeux cernés de Frank Meier.

Un cocktail amer

C’est que tout se passe dans le bar de Frank Meier. Sous le bruit de son shaker se dessine une atmosphère troublante: aux effluves des parfums des dames richement habillées, aux lumières éclatantes des lustres et du champagne où flottent des framboises fraîches, se mélangent les atrocités de la guerre et les ordres germaniques qui font froid dans le dos. Fitzgerald et Hemingway, dont il ne reste plus que les portraits aux murs, ont laissé la place aux uniformes sombres tâchés de rouge sur l’épaule. Et le lecteur, tapi derrière le corps imposant de Meier, mais aussi derrière son lourd secret, le pire qu’un homme puisse avoir en ces temps sombres, observe ce tableau inquiétant qui le plonge dans une position ambiguë.

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Enivré par les cocktails excentriques et écœuré par les échanges venimeux, le lecteur ne sait plus. Il ne sait plus ce qui est bon, ce qui est mauvais, ce qui finalement est vrai. Mais malgré ce sentiment ambivalent, c’est le malaise qui le submerge. Un malaise gris, froid, dur. Comme le climat qui règne derrière les fenêtres de l’hôtel. C’est toute l’essence de ce roman, de l’histoire que nous raconte Philippe Collin. Il nous met face à quelque chose qui est sans cesse perpétué dans la société depuis la nuit des temps: faire semblant, enfouir certaines pensées, pulsions, que l’on peut avoir face au pouvoir, face au bourreau, et à des situations où l’on doit se taire, mentir, cacher.

Frank Meier, l’ambiguïté incarnée

Cette ambiguïté, Frank Meier la porte à travers son métier et sa condition d’homme juif. Professionnalisme et bonne figure en toute circonstance. Mais si le diable a occupé les lieux et y fait une danse macabre, il ne s’installe pas à l’intérieur de l’âme du barman. Car amour et intégrité y règnent et pour les honorer, il est prêt à tout. A falsifier des documents, raser les murs et risquer sa peau. A mettre au service de l’ennemi son amabilité et à transgresser les règles. Et ainsi, incarner ambiguïté et dualité.

Philippe Collin réalise un joli coup de maître avec ce premier roman. Hommage à Frank Meier, il en est un aussi pour les victimes de la guerre. Se dévoilent devant nous toutes leurs souffrances et le lecteur du XXIe siècle en perçoit toute l’ampleur durant la lecture: les larmes montent, le souffle se coupe, le livre est posé pendant quelques instants. Ces petits moments qui font que le roman est bon. Et puis, ce dont cet ouvrage parle réellement, c’est du rapport aux autres, des sentiments, de la haine et de l’amour, de la conscience de l’existence de son voisin, et finalement, de l’humanité. C’est le goût qui reste à la fermeture du Barman du Ritz. Un roman qui se démarque.

Ecrire à l’auteure: sofia.frosio@leregardlibre.com

Vous venez de lire une critique en libre accès, publiée dans notre édition papier (Le Regard Libre N°111). Débats, analyses, actualités culturelles: abonnez-vous à notre média de réflexion pour nous soutenir et avoir accès à tous nos contenus!

Phillipe Collin
Le Barman du Ritz
Albin Michel
Avril 2024
416 pages

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