Chaque mois, notre critique littéraire s’attache à passer une œuvre au kaléidoscope, afin de récolter les images qu’elle projette et restituer leurs diffractions. Quitte à ce que les éclairs de génie s’avèrent des éclats de verre.
Au printemps fleurissent les fleurs, et celles de Marco Martella ne dérogent pas à la règle. Tout aussi moirées que l’homme qu’il est: écrivain, jardinier, membre du conseil scientifique de l’Institut européen des jardins et paysages, fondateur de la revue Jardins et surtout caché derrière plusieurs hétéronymes qui jalonnent sa production littéraire.
Fleurs est le prolongement de ses conversations et réflexions menées dans le cadre de sa revue, qui explore les dimensions poétiques, philosophiques et existentielles liant l’homme à la nature et au paysage. Dans son livre, on croise aussi bien les écrivains Enrique Vila-Matas et Pia Petersen que le paysagiste Gilles Clément ou l’artiste et philosophe William Morris, avant de partir en quête du jardin clos d’Emily Dickinson, à la Houghton Library de Harvard. Jamais grandiloquent, toujours d’une intimité tapie, ce journal de rencontres brouille à l’envi la frontière entre bibliothèques et jardins, réel et fiction. Avec, en point de mire, la nostalgie et la solitude.
Organisé en huit récits, chacun orné du nom d’une fleur (narcisse, églantine, pensée, berce du Caucase, campanule…), le livre ouvre une discussion sur la beauté, mais aussi la mémoire, le temps, la fascination de la mort, l’amour et la liberté – en fin de compte, les thèmes éternels de la littérature. Marco Martella cueille ces rencontres avant qu’elles ne fanent en souvenirs et donne la parole aux fleurs, non pas comme objets décoratifs ou scientifiques, mais comme êtres porteurs d’histoires, de mémoire et de spiritualité. Chaque fleur devient une compagne de solitude, une passerelle vers l’invisible, une manifestation silencieuse de la beauté et du temps qui passe.
Vers la précédente chronique de Quentin Perissinotto
Sous la main de Marco Martella, les textes sont comme autant d’allées ombragées d’un jardin à l’anglaise, que le lecteur arpente en promeneur endimanché, serein, mais l’esprit stimulé de toutes parts. Les mots, eux, sont des corolles pleines de rosée, offertes sans ostentation. Chez Martella, ils n’expliquent pas, ils dévoilent. Fleurs n’est pas un traité sur les fleurs, mais un herbier d’âmes, un bouquet de présences, parfois disparues, parfois à peine entrevues. Chaque texte est une clairière, un abri feutré où s’allument des pensées comme on allume une lampe à huile, discrètement, pour ne pas effaroucher le soir.
On referme Fleurs comme on quitte un jardin au crépuscule: doucement, à pas lents, avec dans les poches quelques pétales de silence.
«Quoi qu’il en soit, mon ami avait enfin trouvé ce qu’il avait cherché en vain tout au long de sa vie: un monde, qui sait?, où les mots et les fleurs ne font qu’un et qui continue imperturbable et discret comme un long après-midi d’automne; un espace dans lequel la mort comme la vie ne sont que des accidents sans trop d’importance ou bien, au mieux, d’intéressants sujets de conversation ou de littérature.»
Quentin Perissinotto est critique littéraire au Regard Libre. Ecrire à l’auteur: quentin.perissinotto@leregardlibre.com
Vous venez de lire une critique parue dans notre édition papier (Le Regard Libre N°117).

Marco Martella
Fleurs
Babel
Avril 2025
192 pages