Il avait été repéré sur la scène gratuite du festival par un certain Claude Nobs, qui l’avait propulsé le lendemain sur la prestigieuse scène de l’Auditorium Stravinski. Dix ans plus tard, Michael Kiwanuka s’est fait la voix et le maître d’un rêve collectif ce 6 juillet dans la salle du Montreux Jazz Lab, lors de la soirée soul initiée par les excellents Joel Culpepper et Black Pumas. Echos.
Finalement, le premier concert du Lab ce 6 juillet à Montreux pour une soirée tout en cohérence néo-soul n’aura pas été assuré par le groupe Gabriels. Pas grave, on découvre l’auteur-compositeur-interprète de R&B anglais Joel Culpepper, au timbre distinctif et à la puissance vocale impressionnante. Avec ses lunettes de star aux branches fauves et ses muscles à découvert, c’est un artiste charmeur qui s’adresse au public, entre pas de danseur et poses de crooner, chants suaves et envolées aiguës. Il n’y a pas plus communicatif que son sourire. Son aisance et son univers préparent admirablement le terrain à ce qui va suivre.
Black Pumas, un carton
Le deuxième concert est en effet assuré par Black Pumas, groupe de soul-blues-rock au faîte de sa gloire. Les spectateurs, on le sent, sont venus aussi bien pour cette formation que pour Michael Kiwanuka. Le chanteur-guitariste Eric Burton, véritable bête de scène, s’adresse beaucoup au public, le visage expressif et le corps en mouvement, comme sa voix qui oscille entre quasi-murmures et lancées époustouflantes. Les arrangements, modernes et chauds, vont également chercher des sons vintage. Le groove général est d’enfer; la salle, très vite conquise.
Peu après le début du show, voilà qu’il saute directement dans le public, l’ayant juste averti d’un signe de mains qu’il fallait lui faire un peu de place. Au loin dans la salle, on le cherche qui se déplace dans la foule. L’effet est réussi! Le guitariste-producteur Adrian Quesada, avec qui Eric Burton a fondé le groupe en 2017, reste en retrait tout en offrant des solos virtuoses. Le concert passe à une vitesse folle.
Michael Kiwanuka et ses choristes
Vient l’heure la plus attendue. Pas vraiment d’entrée en scène spectaculaire pour Michael Kiwanuka. Son concert contraste drastiquement avec les deux autres. Tout en restant dans la veine soul, son univers puise dans des sonorités folk et afrobeat. Le Britannique d’origine ougandaise apporte sur scène d’autres accents, une autre manière d’être aussi. Timide, humble et effacé: c’est l’impression qu’il donne, caché derrière son micro, interprète intrus durant sa drôle d’intro. Ce ne sont d’ailleurs pas ses collègues musiciens qui vont faire mieux en termes de présence scénique.
En revanche, les choristes, si! Ah, les choristes. Les charismatiques choristes, si touchantes, si envoûtantes, si enchanteresses. S’il fallait dédicacer ce concert à quelqu’un, ce serait à elles. De leur rôle déjà central dans les versions studio des chansons, elles décollent en concert vers des cieux d’improvisation et de performance vocale. Elles auront arraché une larme à l’auteur de ces lignes, sans doute à la fin développée du renversant Solid Ground, par ses airs trompeurs de piano (électrique)-voix, cachant la montée en puissance à venir, renforcée encore en live.
Un songe enchanteur et mélancolique
Mais ce concert est un tout qui ne saurait se séparer d’une de ses parties. Il se vit comme un songe d’une heure et demie, avec le mélange grave-aigu des voix, les langueurs instrumentales construites comme des voyages, les transitions chromatiques et fantomatiques qui font déjà la magie des albums. Michael Kiwanuka excelle en maître du rêve collectif, sans avoir besoin de faire le show comme ses prédécesseurs de plateau. L’attention du public envers la musique en ressort accrue.
Tout est léché, mais on peut citer trois points culminants: celui du rythme et de l’efficacité avec One More Light en deuxième titre joué, celui de la beauté avec Light, l’un des derniers singles, placé au milieu du concert, la boule de disco culminant sur la scène comme une source de lumière, et celui de l’émotion avec un panel de chansons vers la fin du spectacle, dont Solid Ground, déjà cité, et l’incontournable Cold Little Heart.
Les quatre notes de guitare électrique qui, dans sa version longue, habitent l’introduction de ce grand succès auront été absentes. Mais on les retrouve en fait dans toute son œuvre. La gamme de blues, faite de seulement une note et demie en plus, a ce charme éternel de se prêter à toutes les variations d’une même mélancolie. Encore faut-il savoir sublimer la tristesse comme Michael Kiwanuka.
Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com
Image d’en-tête: Michael Kiwanuka au Montreux Jazz Festival le 6 juillet 2022 © Marc Ducrest
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